ESB n° 1

LES DONNEES SOCIO-HISTORlQUES DE L’EMSAV en 1969 Le peuple breton est un peuple qui résiste depuis huit siècles à l’assimilation. Cette résistance doit être con1prise sous trois aspects : celui d’une persistance passive, sans intention consciente ; celui d’une conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique ; _ celui d’une révolution, c’est-à-dire d’un rema¬niement complet de la société ordonné à une finalité politique. La persistance passive est à comprendre à travers la désarticulation dont a souffert très tôt la société bretonne Du Sème au 12ème siècle, le peuple breton consti¬tua une société politique vigoureuse comportant des centres de civilisation qui rayonnaient sur toute l’Europe occidentale Or, dès le 12ème siècle, les couches dirigeantes acceptent des liens de classe de plus en plus étroits avec les autres couches dirigeantes européennes et ne tardent pas à tomber dans la sphère d’influence de la noblesse française. Par suite, un fossé se creuse rapidement entre ell s et le peuple breton. Il en résulte un certain nombre de conséquences graves : deux civilisations cohabitent en Bretagne : la civilisation française, apanage de la minorité gou¬vernante, considérée de ce fait comme supérieure ; la civilisation bretonne, apanage du peuple, con¬sidérée comme inférieure par un motif de classe ; ce qui, au début, n’est qu’un motif de classe, subjectif, s’objective peu à peu, s’inscrit dans les faits par un mécanisme simple : quiconque dans la classe populaire cherche à s’élever socialement doit par nécessité s’assimiler à la civilisation française. Par suite, quiconque serait en mesure par sa valeur personnelle de concourir au développement de la civilisation bretonne, abandonne cette civilisation pour la civilisation française ; on. assiste donc à une dégradation rapide de la civilisation bretonne : celle-ci, après avoir été sub¬jectivement jugée inférieure, devient objectivement inférieure. Elle cesse, pour prendre les termes précis du breton moderne, d’être un sevenadur 2, c’est-à-dire un accomplissement voulu et conscient par un peuple soucieux de son destin, pour n’être qu’une stuzegezh 3, c’est-à-dire un ensemble de for¬mes locales de vie laissées à leur pur déterminisme sociologique ; la culture active étant française, on conçoit que la civilisation bretonne persiste uniquement dans 6 les couches les plus éloignées des sphères actives du pays. En ceci, la désarticulation sociale appau¬vrit considérablement la civilisation bretonne, mais en même temps lui laissa une chance : celle de per¬sister, car dans le peuple coupé des classes diri¬geantes la civilisation bretonne traversa plusieurs siècles d’hibernation sans mourir. Bilan de la persistance passive Au terme de ses siècles d’hibernation, la civilisa¬tion bretonne populaire se trouve dans l’impossi¬bilité absolue de vivre par elle-même : la seule structure sociale persistante, maintenue par l’Eglise, l’organisation en paroisses, a regressé au point de prendre une forme tribale, puis de perdre toute fonction sociale ; toute société politique a depuis longtemps dis¬paru, laissant le champ libre aux structures politi¬ques françaises qui, reçues de l’extérieur et sans adhésion créatrice, agissent comme éléments dépo¬litisants, et instruments d’aliénation collective ; la production culturelle, privée des individus créateurs sans cesse ravis par la civilisation fran¬çaise, privée d’un cadre politique qui lui soit homogène, réduite à prendre assise dans les micro¬communautés locales, est pratiquement nulle en qualité comme en quantité ; la désarticulation de la société qui favorisa la perte de l’indépendance politique au 16ème siècle prépara, à plus long terme la voie au sous-dévelop¬pement économique. Celui-ci est le résultat de la mise en contact d’une économie de type tradition¬nel avec une économie industrielle développée.