V – ROME ET SES DIEUX IMPÉRIAUX

  I - Mystérieux Étrusques Ce que nous connaissons de l’histoire des Étrusques est malheureusement à peu près nul et leur langage nous est absolument inconnu. Les anciens auteurs donnent bien quelques détails sur leurs usages, mais d’une façon si incomplète que nous ne pourrions en tirer de sérieuses conséquences si leurs récits n’étaient corroborés par les découvertes archéologiques faites sur le sol même de la Tyrrhénie (nom grec) ; c’est là qu’on peut puiser les meilleurs renseignements. « Dans les campagnes de Toscane, l’œil reconnaît ça et là les formes pleines et arrondies un peu lourdes que nous montrent les figures couchées sur les sarcophages étrusques, types tout à fait distincts du type romain proprement dit, qui est reconnaissable au nez aquilin vers son sommet et s’abaissant en ligne droite à partir de son milieu, au menton saillant, à la tête large, aux tempes proéminentes, au front peu élevé », écrit M. Louis-F. Maury. « Ce que les anciens nous disent des indigènes de la Corse tend à nous faire croire que ces îles ont été peuplées par les populations Ligure et Ibère », ajoute-t’il plus loin. Les personnages peints sur les vases et sur les murailles des nécropoles de Tarquinies, Tarquinia, de Volaterræ, de Chiusi, de Cære (Cerveteri), relevaient toutes en effet d’un type uniforme des plus caractéristiques. Ce sont, dit-on, de petits hommes, à la tête forte, au nez gros et long, au corps ramassé et trapu ; et leurs traits, comme leur physionomie, ont une ressemblance singulière avec ceux de plusieurs nations américaines anciennes et modernes. Ils sont sans doute venus d’Asie Mineure car les postes fortifiés dans d’épaisses murailles et les portes monumentales qu’ils construisirent au sommet des collines ressemblaient aux villes achéennes de Mycènes et de Tirynthe (Péloponnèse). « Ils font penser aux statues mexicaines des ruines de Palanque », dit M. Michelet1. Les monuments ont la même analogie, et M. Niebuhr retrouvait les temples mexicains dans la description que nous donne Pline l’Ancien du tombeau de Porsenna2. 1 Historien et diplomate, auteur de « L’Histoire romaine ». 2 Roi de Chiusi, fin du VIe siècle avant notre ère. Ces rapports se remarquent du reste aussi bien avec les peuples de l’Afrique qu’avec ceux de l’Amérique ; et Strabon rapporte que le pronaos du temple d’Héliopolis était couvert de grandes figures analogues à celle d’Étrurie. Il en est de même pour les coutumes : l’on trouva à Vulci, dans un ancien sarcophage, des œufs d’autruche percés avec des griffons peints sur les coquilles et des vases archaïques absolument semblables aux vases et aux œufs des tombeaux égyptiens. M. Des Vergers cite un fragment d’alabastrium (albâtre) trouvé en 1840 à Santa Marinella et couvert d’hiéroglyphes dans le style égyptien. La similitude des goûts de ces deux pays est d’ailleurs parfaitement admise par les archéologues, et tous les jours on découvre encore en Toscane des scarabées en pierre ou en bronze, des vases ornés de lotus, des canopes3 en argile où sont dessinées des têtes de nègres ; ce qui prouverait que les colonies atlantes communiquaient fréquemment entre elles. Les vases ont en effet très souvent la même forme que ceux d’Amérique. « Il nous faut faire ressortir, une connexion plus étroite encore entre la poterie américaine et les terres cuites étrusques. D’une pâte tantôt rouge, très fine, dure et lustrée, tantôt noire et grisâtre, mais néanmoins fine et rendue luisante par le frottement, elle est souvent ornée de bas-reliefs, de gravures et même sur la terre rouge, de dessins noirs », écrit M. Jacquemart. Notons que les dessins rouges sur la terre noire se rencontrent dans ces deux pays, car cette race, ainsi que nous l’avons vu, paraît avoir pour le rouge une prédilection exclusive. M. Poutoppidan a rapporté de Bahia cinq vases antiques couverts d’hiéroglyphes, de même forme, de même couleur, de mêmes ornementations que ceux des Étrusques les plus purs. Aussi, nombre de savants signalent-ils avec persistance ces remarquables analogies. Mais le caractère fondamental de cette grande famille est une aptitude singulière pour les travaux métallurgiques. Partout où les Atlantes ont établi leur prépondérance, cette faculté s’est manifestée par des œuvres que les Romains recueillaient comme précieuses antiquités et qui ne lassaient pas leur admiration. Les fameux vases, dits corinthiens, étaient devenus introuvables ; et les anciennes méthodes de fabrication complètement oubliées. 3 Vase cinéraire dont le couvercle est une tête emblématique. « La manière de fondre l’airain précieux est totalement perdue », écrit Pline dans son « Trente quatrième livre ». L’airain de Délos et d’Égine jouissait d’une si grande réputation que l’on s’en disputait les moindres morceaux pour les refondre sans parvenir à découvrir le secret de cet alliage. Les œuvres étrusques étaient célèbres dans toutes les contrées méditerranéennes ; et les Romains enlevèrent, lors de la prise de Volsinies4, deux mille statues de bronze. « Ce qui m’étonne c’est que ces statues étant d’une origine si ancienne en Italie, les simulacres des dieux aient été faits à Rome en bois et en argile jusqu’à la conquête de l’Asie qui introduisit le luxe », ajoute Pline. On peut l’expliquer cependant : les civilisations grecque et romaine, résultant du croisement des Pélasges et des Celtes, durent commencer par une période de transition pendant laquelle tous les secrets anciens furent oubliés ; et l’antique race des métallurgiques, anéantie ou dispersée. Pythéas fait allusion aux débris de ces puissants mineurs confinés dans quelques montagnes et les habitants de la plaine avaient souvent recours à eux pour la confection de leurs armes. M. Bouillot a trouvé tout récemment près d’Autun, au sommet du mont Beuvray, non seulement des poteries de toute espèce, mais des bronzes émaillés qui nous fournissent un nouvel argument contre l’importation prétendue du bronze par les Arias5. Ces précieux restes ne ressemblent en rien, ni par leur aspect, ni par le procédé de fabrication aux émaux orientaux. Ces derniers consistent en cellules métalliques dans lesquelles on applique un mastic de couleur et transparent. Les émailleurs d’Autun recouraient au contraire à des matières vitrifiables qu’une fusion secondaire faisait adhérer au métal. Grâce à la découverte d’ateliers complets, M. Bouillot a pu suivre dans ses moindres détails la fabrication de ces émaux qui s’opérait selon la tradition des ouvriers atlantes dans des ateliers souterrains toujours voisins d’une caverne extérieure où se vendaient ces ornements. 4 L’actuelle Orvieto. Elle tomba sous l’armée de Marcus Fulvius Flaccus (265-264). La capitale politique et religieuse de l’Étrurie, la « Delphes étrusque », allait sombrer. 5 Ou Aryas, du sanscrit, nobles, venant de la région d’Asie, comprenant la Bactriane, la Médie, la Sogdiane… Il se mêlait parfois des idées de sorcellerie à cette supériorité inexpliquée par les masses ; et nous trouvons les traces de ces superstitions dans quelques mythes populaires. Aussi, M. Schmerling, en parlant des cavernes situées près de Liège, dit : « Les ouvertures sont connues des habitants de l’endroit sous le nom de trous de Sottais. Ils prétendent que jadis ces grottes servaient d’habitation à une espèce d’hommes de petite taille : Sottais, nains, pygmées qui vivaient de leur industrie et restauraient tout ce qu’on déposait près des ouvertures, à condition que l’on y ajoutât des vivres. En très peu de temps, ces objets étaient réparés et remis à la même place ». Ces mêmes légendes existaient partout profondément gravées dans la mémoire des peuples et se perpétuaient d’âge en âge. Tous sont unanimes dans leur respect traditionnel pour les derniers descendants de ces antiques artisans. Chacun enchérissait à l’envi sur les récits des ancêtres ; et il ne resta bientôt plus de ces maîtres du monde que des contes merveilleux. La croyance aux pygmées, aux nains cabires, aux hanoumans, aux korrigans, aux palices, aux cyclopes n’a pas d’autre origine6. Pour les uns, les gnomes, gardiens des minières, étaient de petite taille, amis de l’homme et hantaient les demeures souterraines. Selon d’autres, les cobales (ou cercopes) étaient des êtres surnaturels à forme humaine qui accompagnaient Bacchus dans son apostolat. Quelques-uns prétendent qu’on en voit encore en Sarmatie et que les Sarmates7 les appellent drulles, les Russes, colekes et les Allemands cobaldes. M. Emile Reclus, dans un article fort curieux intitulé « Un peuple qui s’en va » et publié en 1867 par la Revue des Deux Mondes, a attiré l’attention sur les Mutugoré ou visages rouges, tribu ibérienne dont parle Strabon. Nous croyons les reconnaître dans les Sicules8 et les Sicanes, Pélasges d’Italie, qui se retirèrent devant les envahisseurs orientaux et s’efforcèrent de défendre leur nationalité jusque dans les gorges des Apennins et les neiges de l’Etna. Il faut encore retrouver un écho de ces vieux souvenirs dans les nains ventrus qui portent les médailles de Cossura et qui étaient confondus par la vénération antique avec les apôtres cabires représentés souvent avec tous les attributs des forgerons. 6 Divinités mystérieuses de la haute Antiquité. 7 Tribu, dont une tradition fabuleuse fait naître des Scythes et des Amazones. 8 Ils donneront leur nom à la Sicile. Suivant plusieurs mythologues, ils étaient ouvriers de Vulcain et de même race petite et obèse que les Corybantes, les Curètes et les Dactyles9. Ces légendes se confondent même avec celles que les débris des races primitives, bien antérieures aux Protoscythes, avaient laissées dans l’imagination des premiers représentants de l’humanité actuelle. Selon Diodore, les noirs Cercopes, hommes-singes cantonnés en Asie Mineure, ravageaient au loin la contrée. D’après la tradition grecque, l’Hercule lydien les avait asservis, ainsi que Brahma le fit dans les Indes, et plusieurs paraissent même avoir suivi leur vainqueur et joué auprès d’Hercule le rôle des satyres près de Bacchus. Nous verrons toujours les héros de l’Antiquité purger la terre des derniers descendants de ces races indomptables, réfugiées le plus souvent dans quelque gorge de montagne, ainsi qu’on les rencontre encore aujourd’hui dans l’Extrême-Orient. Une autre tradition place les Luceres10 dans les îles situées près de la Campanie ; et Jupiter se serait vengé de leur insubordination en les changeant en singes. Les débris des races perdues existaient donc encore lors des premières incursions atlantes ; et ces ébauches transitoires du type actuel furent longtemps vénérées. Les hommes-singes étaient instinctivement honorés d’un culte presque filial, non seulement dans l’Inde et l’Égypte, mais au Mexique. Leurs images sculptées ou peintes étaient fréquentes sur les plus anciens monuments. Ils devinrent, comme les habitants des lieux sombres, une source inépuisable de légendes et passaient pour des génies souterrains fuyant la présence de l’homme. Quelques autres traditions nous les présentent avides de boissons spiritueuses, s’enivrant à tout propos, et parfois métamorphosés en pierres… 9 Dieux infernaux symbolisant les forces souterraines. 10 Les Étrusques. Comme les Latins, ils étaient des Ramnes et les Sabins, des Tities. II - L’Empire étrusque « Les Étrusques sont bien un peuple italique » Varron, 1er siècle avant J.-C. La préhistoire de l’Étrurie ne se distingue guère jusque vers le VIIe siècle avant notre ère, de celle des régions voisines, sauf un air que les vertus du climat et du sol et les richesses minières promettaient au pays toscan un développement privilégié. À Marsiliana d’Albegna, une tombe à cercle renfermait, parmi divers objets, un alphabet gravé sur une tablette à écrire qui est le plus ancien qu’on ait jamais vu ; il est reproduit sur un vase de la tombe de Cære. Il ne vient pas de Cumes, mais d’Orient, et c’est de lui que dérive l’alphabet latin. L’alphabet étrusque plus récent diffère du précédent par l’omission de plusieurs lettres (b,d,g), pas de o mais un u et par l’addition du signe 8. Cette distinction entre les deux alphabets correspond peut-être à celle de deux flots successifs d’émigrants orientaux que mentionne la légende conservée par Pline. L’établissement des Étrusques en Étrurie date, au plus tôt, des migrations orientales qui apportèrent au VIIIe siècle les trésors de l’Asie. Ce furent probablement des Asiatiques d’Asie Mineure, les pirates tyrrhéniens1, qui recouvrirent les migrations plus anciennes. Ils avaient emprunté aux Hittites des détails de costumes et peut-être même des croyances influencées par Babylone. Une tradition conservée par Hérodote les fait partir des côtes lydiennes, mais ils purent aussi bien venir de Lycie ou de Cilicie, d’où les pirates venaient encore à l’époque historique infester les côtes d’Italie. Tant que l’énigme de la langue étrusque n’est pas résolue, il est impossible d’obtenir confirmation de ces hypothèses. Les érudits observent qu’on rencontre en Étrurie un grand nombre de noms de lieux crétois et lyciens, et que le nom des Tarquins et de Tarquinia rappelle un dieu du Taurus, Tarkou. De Lycie, leur vient également la fréquence de leur filiation en ligne maternelle que l’on désigne du terme impropre de matriarcat. 1 Au sens d’aventuriers. La céramique surtout subit l’influence grecque : au VIIIe siècle apparaissent les élégants petits vases nommés protocorinthiens, venus d’Argos ou de Sicyone, puis les céramiques corinthiennes si abondantes à Cære que cette ville semble une colonie commerciale de Corinthe. Au début du VIe, datent les amphores dites tyrrhéniennes et les hydries2 de Chalcis. Enfin, l’Étrurie importe les vases attiques à figures noires, dont le plus fameux exemplaire est le vase François de Vulci, puis les vases à figures rouges. Cependant, les céramistes n’ont pas abandonné la technique du « bucchero », terre noire, mate ou polie, propre à donner l’illusion du métal, dont la technique n’a pu être copiée. L’art du modelage atteignit en Étrurie un degré de perfectionnement qui est attesté par les antéfixes qui ornaient les temples, par les grands sarcophages de Cære représentant le couple de morts sur un lit de fête, et surtout par le groupe de statues de Véies : Héraclès dérobant une biche et rencontrant Apollon, Artémis et Hermès, chef-d’œuvre contemporain des statues de jeunes filles de l’Acropole, mais d’un art plus puissant. La cité de Vulci fabriquait des trépieds qu’elle exportait jusque dans le Palatinat et commençait la fabrication des miroirs gravés – Les modernes rivaliseraient malaisément avec la technique et le goût des bijoux d’or étrusques. La somptuosité de ces œuvres d’art ne fit pas oublier la mise en valeur du pays. Ils exercèrent une grande influence sur les Italiotes en leur enseignant les arts, notamment dans la construction par l’emploi de la voûte et des arches, l’art de faire les égouts (la Cloaca Maxima) et les canaux de drainage. Ils leur ont aussi transmis les règles de la divination, peut-être même l’alphabet et ont répandu en Italie la civilisation grecque, dont ils avaient subi, eux-mêmes, l’influence. Un réseau de routes fut créé à travers l’Étrurie méridionale, et des galeries souterraines drainaient les eaux de Viterbe à Velitræ (Velletri). 2 Vase pour puiser l’eau, à panse bombée, muni de deux petites anses et d’une grande, verticale. Hautes de plus d’un mètre, elles étaient surveillées par des regards espacés, et ce travail géant dut être exécuté par une classe exploitante qui entretenait un commerce actif entre l’Étrurie et les provinces voisines, plaine du Pô, Picenum, Latium et Campanie, ou elle fondait des colonies, dont la plus fameuse fut Capoue, et qui continuèrent de prospérer même après que la rébellion des Volsques et des Latins les eut séparées de leur métropole —Santa-Maria di Capua a livré une grande inscription étrusque du Ve siècle. En lutte sur terre contre les Gaulois, dont les Taurini (Turin) et les Vénètes, peuple de marins ; sur mer, les Étrusques eurent à redouter la puissance des Phocéens3 et la concurrence des Phéniciens qui lui abandonnèrent le bassin tyrrhénien et se réservèrent le mer libyque comme champ d’exploitation. Leur flotte, unie à celle des Carthaginois4, les rencontra au large d’Aléria, (l’ancienne Alalia). Les Phocéens furent vaincus et les Étrusques de s’établir en Corse et de prendre possession des mines de fer de l’île d’Elbe. Plus tard, la maîtrise des mers passera des Étrusques et des Carthaginois à Syracuse5. L’histoire de la fondation et de la chute de l’empire étrusque en lutte contre Rome, au début de la République au Ve siècle, est sans nul doute liée à l’histoire intérieure de l’Étrurie qui nous est à peine connue. Des indications données par les peintures des tombes et des légendes que la tradition romaine a conservées, on retient seulement que l’Étrurie était divisée par des luttes entre cités, et que probablement vers la fin du VIe siècle, la prédominance passa de l’Étrurie du Sud à Vulci et à Clusium. Dès le VIe siècle, la civilisation étrusque a rayonné sur le Latium. 3 Grecs venant d’Asie Mineure après la conquête perse. Ils furent chassés de Corse vers 535. 4Ces deux peuples s’unirent dans une alliance si étroite qu’au dire d’Aristote, Étrusques et Carthaginois avaient formé autrefois une seule nation. 5 Défaite fatale des Étrusques à Cumes en 474 et fin de leur domination dans la mer Tyrrhénienne. À Préneste (l’actuelle Palestrina), des tombes princières ont livré les trésors fameux conservés à la Villa Giulia à Rome, comprenant le mobilier d’une splendeur aveuglante des tombes Bernardini et Barberini : admirable pectoral d’or couvert de petits lions en haut relief, skyphos d’or (coupe à boire à deux anses), comparable à un exemplaire de l’Héraïon d’Argos, bol d’argent auquel furent grossièrement adjointes des têtes de serpent, franges d’argent, bras d’ivoire ayant formé les montants de cithares à la mode assyrienne, plats d’argent décorés de scènes orientales comparable à ceux de Chypre… Le temple de Velitræ, était décoré d’acrotères à têtes de Gorgone et d’une frise formée d’une série de plaques de terre cuite, dites « reliefs Borgia » où figurent des courses de chars, un jeune Hermès avec pétase6 et caducée. On discerne dans ces compositions, des éléments ioniens, corinthiens et étrusques. Rome était située au point où cesse la navigation maritime du commerce, la navigation fluviale et l’estuaire même du Tibre formant un débarcadère comparable aux bouches de l’Aternus sur l’Adriatique. De plus, la via Campana joignait Rome aux salines un peu plus au nord, et le bois sacré des Arvales aux temps antiques se trouvait au point où cette route sortait du territoire romain. Lorsque s’ouvrit la période des conquêtes étrusques, un dynaste, Tarquin, s’empara de cette position avantageuse et adopta les insignes étrusques, le sceptre, la couronne d’or, la robe de pourpre, le siège curule d’ivoire et les douze licteurs. Il était, selon la légende, d’une famille corinthienne immigrée à Tarquinia, mais c’est à Cære que l’on a retrouvé la tombe des Tarquins. La tradition date la chute de la brillante dynastie à la fin du VIe siècle. La ruine de l’Asie Mineure, à la suite de la conquête perse eut pour contrecoup la décadence du commerce oriental, l’éclipse de l’ionisme, la rupture des liens qui rattachaient encore la Méditerranée occidentale à l’Asie. La religion se modifia alors sous l’influence étrangère, le sanctuaire de Voltumnæ est pillé. Les Grecs introduisirent au Forum romain le culte d’Hercule et Rome emprunta aux Étrusques le culte des triades et celui des dieux Lares. Quant aux institutions politiques, il est probable que les rois7 étrusques, comme les tyrans grecs, aient surtout contribué à briser le système minutieux et complexe des groupements archaïques et qu’ils aient ainsi accompli plutôt une œuvre révolutionnaire qu’une tâche constructive, dont Rome fera son profit. La romanisation est en marche. « Acta est fabula » 6 Chapeau de feutre rond et bas à larges bords. 7 Les Lucumons en Étrurie. III - La religion des Étrusques1 Au dire de Denys d’Halicarnasse, Ier s. av. J.-C., « Un très vieux peuple, qui ne ressemblait à aucun autre ni par la langue ni par les mœurs » Encore aujourd’hui, les Étrusques sont un peuple mystérieux dont on ne connaît ni l’origine ni la date de leur arrivée en Italie. Installés en Thurie, ils étendirent, au cours du VIe siècle, leur domination sur le Latium, la Campanie et la plaine du Pô et y fondèrent les colonies de Naples et de Pæstum en Campanie, Crotone, Sybaris et Tarente, Syracuse et Agrigente en Sicile. Les Villanoviens2, venus de l’Italie du Nord, introduisirent vers le début du IXe siècle leurs urnes biconiques renfermant les cendres des morts, leurs rasoirs lunés, leurs plaques de bronze martelé que décorent les curieux symboles du cygne ou de la barque solaire et les premiers objets en fer. Plus tard, en Étrurie comme à Felsina (l’actuelle Bologne), l’urne biconique fut imitée en tôle de bronze et fréquemment remplacée par une urne cabane. À Clusium (Chiusi), l’urne funéraire prit la forme d’une grande jarre (ziro) posée sur un fauteuil et à laquelle on suspendait un masque de terre cuite imitant les traits du mort. Vers la fin du IXe siècle, des tombes à inhumation (fosses) paraissent à côté des tombes à incinération (puits) ; et d’étranges vases à décors géométriques, qu’on dirait chypriotes, sont trouvés dans les tombes à puits de Corneto et signalent l’arrivée de marchands étrangers. Le contenu de toutes ces tombes atteste la diversité des influences qui s’exerçaient en Étrurie aux VIIIe et VIIe siècles : certains viennent d’Égypte, d’autres d’Asie Mineure et de Syrie. Au reste, les côtes d’Étrurie n’ont pas le monopole de ces tombeaux somptueux qu’on retrouve en grande quantité à Belmonte en Picenum. Mais c’est seulement à partir VIIe siècle qu’apparaît le type classique de la tombe étrusque : la chambre creusée dans le roc ; tantôt on y descend par un escalier, tantôt la façade de pierres est sculptée comme celle d’une demeure. 1 Tusci ou Tyrrhènes. Ils se nommaient eux-mêmes Rasenas. 2 La civilisation est dite villanovienne parce qu’étudiée d’abord à Villanova près de Bologne. De 750 à 600 furent introduits en Étrurie ces objets merveilleux qui garnirent les tombes dites orientalisantes : fosses ou puits réunis à l’intérieur d’un vaste cercle de pierres ou bien longs couloirs en ogive, voûtés en encorbellement et recouverts d’un tumulus (tertre) que cernait un petit mur circulaire comme la tombe de Cerveteri (l’ancienne Cære). Cette tombe renfermait un grand pectoral d’or décoré de figures au repoussé plaquées d’or, des vases d’argent, des chaudrons de bronze ornés de têtes de lion, une situle3 d’ivoire une boîte d’ivoire ornée de lions et de sphinx, des perles d’ambre. Un peuple très religieux, dont la fin aurait été fixée d’après la « disciplina etrusca »…, aux alentours du Ier siècle. Leur religion savante, atroce, ligotante s’apparentait à celle des Hittites et des Chaldéens, et leurs dieux4 étaient redoutables. Aussi leur principal souci était de ne rien faire qui pût les offenser. Ainsi, les Étrusques ont surtout frappé l’imagination des anciens : le grand dieu de la confédération était l’énigmatique Voltumnus5, dont le costume changeait avec les saisons. De-là l’importance prise en Étrurie par les prêtres devins, nommés haruspices6 (ou aruspices), qui prédisaient l’avenir en observant le foie des victimes, interprétaient la volonté des dieux d’après les éclairs et indiquaient les sacrifiés nécessaires pour les apaiser. Dominés par la crainte de l’au-delà, les morts, disaient-ils, habitaient un séjour peuplé d’affreux démons comme les Charons et les Furies. La triade Tinia (Jupiter), Uni (Junon), Menerva (Minerve) paraît être le prototype de la triade dite capitoline. Quand le grand dieu étrusque délibère, il appelle à son conseil douze autres dieux, peut-être identiques aux signes du zodiaque, inférieurs eux-mêmes aux dieux suprêmes dont la volonté est fatale. Il est donc probable que de lointaines survivances de l’astrologie chaldéenne étaient passées par l’intermédiaire des Hittites dans leur religion. 3 Récipient en forme de seau de bronze. 4 Tels Tinia, Turms, Fufluns, Maris, Uni, Tin… 5 Le sanctuaire de Voltumnæ a eu un rôle aussi important que Delphes et Olympie. 6 De l’étrusque, entrailles. La présence dans les tombeaux d’objets familiers du mort, fait supposer à la croyance que leur vie se poursuivait dans le tombeau et au-delà ; la mort n’étant qu’un passage vers une autre vie, quoique d’autres trouvailles compliquent cette conception. Sur un grand char de guerre trouvé près de Spolète, l’artiste a figuré le mort héroïsé qu’un attelage de chevaux ailés emporte au ciel. La doctrine de l’immortalité sidérale avait donc des adeptes en Italie bien avant que Cicéron n’écrivît « Le songe de Scipion »7. Ailleurs, le char aux chevaux ailés mène aux enfers un mort couronné de lauriers, accueilli par un majestueux Pluton, coiffé d’une tête de loup, qui préside un banquet. Ce Pluton est l’image idéalisée des dieux infernaux à forme de loups que les Étrusques craignaient de voir surgir des bouches d’enfer dont la terre est criblée. La croyance aux Enfers avait pris chez ce peuple, dans les derniers temps de leur civilisation, une forme terrorisante : le mort y rencontrait Charon, armé du maillet et le démon Tuchulcha secouant des serpents. Charon assommait ses victimes avec un maillet. Il avait un bec d’aigle, des oreilles d’âne et des serpents pour cheveux. Tourmentés sous terre, les morts revenaient au jour et tourmentaient à leur tour les vivants. Une peinture perdue de Tarquinia représentait des démons torturant des damnés, et les livres étrusques faisaient sans doute mention de réprouvés. Pour échapper à ces terreurs, la religion étrusque imaginait que par des sacrifices périodiques on pouvait racheter son âme et préparer sa propre divinisation. Il est probable que les sacrifices humains, que perpétuent les combats des gladiateurs, n’étaient pas exclus. L’homme étrusque est pendant sa vie, surveillé par la bonne divinité Tagès et par sa Lasa ailée, ange ou furie, qui parfois lui tend, après la mort, la palme et la couronne, devançant ainsi de bien des siècles, une remarquable conception chrétienne. Les prêtres étrusques prétendaient découvrir la volonté divine signifiée par les éclairs ou écrit dans le foie des victimes, foie qui représentait l’univers et ce rituel sera repris par les Romains. Un foie de bronze découvert à Plaisance, Piacenza, est divisé en seize régions, dont chacune est assignée à un dieu ; cet objet singulier servait sans doute à l’enseignement religieux et ne date que du IIIe siècle avant notre ère. 7 Passage célèbre in « La République ». Mais des foies analogues ont été découverts en Babylonie et à Boghaz-Keuï, capitale des Hittites : sans doute ceux-ci ont-ils été les médiateurs de ces rites entre Babyloniens et Tyrrhéniens. Enfin, les fêtes données en l’honneur des dieux et des morts, concours athlétiques comme en Grèce ou ballets mimés, donnaient lieu à des panégyries qui favorisaient le développement des arts. Les tombes à chambre étaient décorées de vastes compositions peintes, dont la plus ancienne est celle de Campana de Véies qui paraît copier une brillante tapisserie d’Orient. Ailleurs, ce sont des jeux funèbres autour d’un puits infernal, des banquets et des danses ou des représentations des enfers. Les chairs sont peintes en blanc pour les femmes et rouge sombre pour les hommes. Les temples étrusques ressemblaient aux temples grecs mais les bas-reliefs et les statues étaient en terre cuite peinte. Les temples, souvent à trois chambres pour abriter la triade suprême, étaient supportés par un haut soubassement et précédés d’un portique profond et leur fronton de bois proéminent était décoré de sculptures de terre cuite. Rares, sont en Étrurie, les sculptures sur pierre, lions archaïques ou stèles frustes de guerriers, et aussi rares, les grands bronzes si l’on excepte l’Apollon de Piombino, copie d’une œuvre grecque, découverte à Véies. Elle a le sourire des statues archaïques de l’Asie Mineure ou de l’Attique. Rares aussi ces plaques de métal repoussé qui décoraient les grands chars de guerre, tels que la bige8 de Monteleone près de Spolète. De la fin du VIe siècle, paraît dater une œuvre unique, une statuette d’ambre rehaussée d’or, l’éphèbe de Fiumicino. Les magistrats des villes portaient une robe de pourpre et siégeaient dans la rue sur un tabouret aux pieds croisés (chaise curule pliante). Ils étaient précédés d’huissiers ou licteurs qui portaient des faisceaux de baguettes d’où sortait une hache. Les Étrusques inhumaient leurs morts dans de grands sarcophages peints ou sculptés et déposés dans de vastes tombeaux souterrains. Certains couvercles en terre cuite représentaient les traits du défunt dans des scènes naturelles, quelques fois, à demi couchés sur un lit de repos et s’appuyant sur le coude gauche comme le représentèrent ensuite les Romains. 8 Char à deux ou quatre roues. Ainsi naquit l’art du portrait, dont les Romains s’inspirèrent. Une urne funéraire en terre cuite de la forme d’une cabane trouvée non loin de Rome, permet de se représenter les cases qu’habitaient les premiers Italiotes. La tête d’un guerrier mort décorant le temple d’une villa du Latium, actuellement à la villa Giulia9 à Rome, démontre que la sculpture en terre cuite, qui a produit des chefs-d’œuvre dans l’art étrusque, fut longtemps florissante en Italie. Les Étrusques furent aussi des orfèvres et des bronziers réputés et avaient le goût de décorer les temples de magnifiques statues et leurs tombeaux d’une multitude de vases importés de Grèce. Les Étrusques, en faisant l’éducation de Rome, furent l’étape intermédiaire de la civilisation dans sa marche d’Est en Ouest. Le génie étrusque aurait sans doute davantage profité du déclin de la Grèce si Rome n’était venue écraser le germe. De là, dans l’art funéraire étrusque, quelque chose de funèbre, de violent et d’amer. Connus seulement par leur art, ils demeurent un mystère. 9 Palais de plaisance de Jules II. Note liminaire sur l’Étrurie À partir des Alpes maritimes, l’Apennin se développe vers l’Est jusqu’à la mer Adriatique et sépare ainsi du reste de l’Italie la large et fertile plaine arrosée par le calme Pô et ses nombreux affluents du Nord et du Sud. C’est là que vivaient autrefois les Étrusques, mais dès le Ve siècle, les Gaulois les avaient refoulés au-delà de l’Apennin et avaient occupé la plaine qui prit le nom de Gaule cisalpine. Cette contrée était peuplée de tribus gauloises, les Taurini, qui léguèrent leur nom à Turin, et de Vénètes (un peuple de marins), dont bien plus tard, Venise devait aussi reprendre le nom. L’élément étrusque continuait à se maintenir plus au nord, à Mantoue, Mantua, et Bologne, Felsina au sud du Pô. Parmi les villes gauloises, les principales étaient Milan, Mediolanum, Brescia, Brixia et Vérone. L’Étrurie se trouvait donc de l’autre côté de l’Apennin et son fleuve principal, l’Arno, sur lequel se trouvaient Arezzo, Fiésole, Fæsulæ et Pise jusqu’au Tibre ; les autres cités étrusques étant Volterra, Volaterræ, Pérouse, Perusia, Chiusi, la Clusium des Romains, Véies et Cerveteri, Cære… C’est là qu’habitait un peuple remarquable, méticuleusement religieux, possédant un système de divination, d’après les entrailles des victimes sacrifiées, et se faisant une représentation très suggestive du royaume des morts : ces deux particularités, ainsi que son art, étaient le résultat d’une hellénisation très précoce actuellement non déchiffrée, malgré le nombre relativement considérable de monuments. IV- La religion romaine primitive « Ô Louve de Mars, pour notre empire la meilleure des nourrices, comme elle a grandi, cette ville à qui tu donnas ton lait » Properce, poète latin du Ier siècle avant notre ère. La plus ancienne religion romaine est d’un type sauvage et le Romain vit entouré d’esprits innommés et de génies qui sont comme un double de tout ce qui est. Au temple de Vesta sont conservés des fétiches que les prêtres ne laissent pas voir. Rome est plein de bois sacrés hantés par les esprits et la grotte de Lupercus1 est le repaire de Faunus2. L’Italie primitive était peuplée de monstres qu’il faudra plus tard exorciser, et la louve romaine fut peut-être un de ces monstres. Les femmes adorent, sous un rocher de l’Aventin, « la Bonne déesse » qui sera remplacée plus tard par le culte de Diane. Dans une demeure souterraine, qui fait penser à un silo ou à une porte de l’enfer, habite un dieu caché, Consus, dont le culte est étroitement uni à celui de l’abondance Ops3. D’autres croyances venues des fonds indo-européens brillent d’une plus noble lumière : le culte du ciel et du feu jupiterien peut avoir cette origine. Le flamen italique rappelle le brahmane védique et l’ara (autel) est proche de l’asah (cendre) védique ; le carmen (prière magique chantée) rappelle le çamsati4 liturgique de l’Inde et le mot latin opus5 désigna d’abord le sacrifice, comme le terme sanscrit apas. Jupiter communique avec les hommes, les augures par le langage des oiseaux. La cité a un foyer sacré dans un temple rond qui rappelle la cabane primitive et chaque famille a ses dieux Lares6. Dès l’âge de la pierre, les morts étaient fréquemment enterrés sous la pierre du foyer. Toutefois, les textes n’annoncent pas que le culte du feu, symbole des ancêtres, ait été lié au culte des morts. 1 Dieu de la purification et de la fécondation. 2 Dieu-prophète, sauvage et fécondant, assimilé à Pan. 3 Déesse italique des moissons, identifiée à Rhéa, Cybèle et la Terre. 4 Orthographe incertaine. 4 Ouvrage. 5 Dieux de la fécondité et du foyer domestique. Les monts Albains, véritable citadelle et riche terroir, furent occupés au premier âge du fer par des peuples qui brûlaient leurs morts et qui déposaient les cendres dans des urnes en forme de cabane ou dans des jarres. Les tombes les plus anciennes de cette région rappellent celles, les plus archaïques, d’Étrurie. Le petit peuple qu’elles nous révèlent paraît avoir eu pour capitale l’établissement d’Alba-Longa dont on croit reconnaître la citadelle vers Castel Gandolfo sur ce même rebord compris entre les premières pentes et l’effondrement du lac d’Albano. La tradition prétendait connaître le nom de trente colonies latines dont Alba était la métropole. Cette petite fédération avait ses lieux sacrés : l’acropole de Jupiter Latiaris, la source Ferentine (près de Grotta Ferrata), au bord de laquelle se tenaient les conseils de la ligue. Le temple de la Junon adorée à Lanuvium (Latium) et surtout le sanctuaire de Diane sont situés au bord du lac de Nemi : au fond de la coupe enchantée. Là, vivait un roi de la forêt, rex nemorensis. Celui qui le tuait après avoir arraché un rameau sacré prenait sa succession : sacerdoce étrange qui se perpétuait encore au 1er siècle de notre ère, au temps de Strabon6. À date du IVe siècle, le culte de la Diane des bois d’Aricie, princesse athénienne, nemus aricius, à en juger d’après les fouilles archéologiques, était devenu très prospère. La tradition veut que ce soit Servius Tullius (Mastarna en étrusque), fils d’un dieu et d’une servante, qui créa le temple de la Diane de l’Aventin pour concurrencer celle de la Diane marseillaise. Le sol de Rome7 est percé de bouches d’enfer : le mundus du Palatin, la fosse de Consus8 au Grand Cirque, la grotte de Lupercal, repaire de Faunus, le marais du lacus Curteus en plein forum. Les peuples sabelliens9 émigraient volontiers : ils vouaient aux dieux une génération de jeunes hommes au nom du « printemps sacré », après quoi la troupe partait à la suite d’un animal divin dont le caprice fixait le site du nouvel établissement. Ainsi, dit-on, fut fondée chez les Samnites10, Bovianum ou la ville du bœuf. 6 Géographe grec. 7 Urbs septicollis. 8 Antique divinité agreste. 9 Montagnards des Apennins, ainsi nommés par les Romains. 10 Peuple guerrier de race sabine en lutte contre Rome. Les fêtes religieuses de l’année accompagnaient les grands épisodes de la vie agricole et pastorale. Mars ouvrait l’année de la Rome primitive. Ce dieu était plutôt à l’origine un dieu de la végétation qu’un dieu belliqueux. Cependant, les cérémonies de mars, Tubilustrium, préparent l’entrée de l’armée en guerre par la purification des chevaux, des trompettes et des armes, et les Saliens11 décrochaient les boucliers et menaient à travers la ville leurs danses guerrières. Tout le long de l’année, les fêtes religieuses accompagnaient les grands épisodes de la vie agricole et pastorale. Avril est le mois des fêtes agraires pendant lesquelles on brûle une vache pleine12 dont les cendres seront utilisées dans les rites. Celle de la purification des troupeaux, les Parilia13, au cours de laquelle les bergers sautent à travers la flamme de trois bûchers disposés en triangle, et c’est pendant ce même mois que les Latins célébraient au sommet du Monte Cavo, la fête du Latiar14, où les villes proclamaient la trêve de Dieu. Le 14 mai était le début de la nouvelle année : on promenait en procession 24 mannequins15 provenant des chapelles des quartiers en célébrant le dieu primitif Liber16 (qui sera remplacé par Jupiter), puis ils étaient ensuite précipités dans le Tibre. À cette fête, les jeunes gens de dix-sept ans prenaient la toge virile. Pendant le mois de mai, les processions des Argei recommencent et les prêtres Arvales17 consacrent les fruits en dansant. Durant les mois d’été, les Romains célèbrent les fêtes du feu, Vestalia, du soleil et de l’eau, près des sources du mont Janicule, que l’on vénère sous le nom des nymphes Furrina18. En août, les Latins par des processions nocturnes fêtent, à la lueur des torches, le culte très populaire de Diane. 11 Prêtres armés de Mars, institués par Numa, le roi sabin, pour garder les douze boucliers sacrés, les ancilia, auxquels la légende avait attaché le sort de Rome. En fait, un seul bouclier était sacré. 12 Les Fordicidia, ou le sacrifice de la fécondité, célébrées en l’honneur de Tellus, la Terre Féconde. 13 Déformation de Palilia, fête de Palès, déesse des troupeaux. 14 Instituée par Tarquin le Superbe en l’honneur du Jupiter Latiaris. 15 Certains ont avancé que ces mannequins représentaient les compagnons d’Hercule, lesquels, regrettant leur patrie, se jetèrent dans le Tibre… 16 Vieille divinité de la fécondation et de la plantation, identifiée plus tard à Dionysos ou Bacchus. 17 D’Arvum, champ. Culte de Dea Dia, divinité agricole. Collège de prêtres organisé, dit-on, par Romulus. 18 Divinités primitives. Leur nom fut confondu avec les Furies et les Érinnyes grecques. Aux ides de septembre (phase de la lune au 13ème jour), ce sont les grands jeux en l’honneur de Jupiter. Jeux d’abord votifs, puis annuels. La fête du cheval en octobre correspond aux Equirries de mars. Après une course de chars, on tue le cheval gagnant, des pains sont attachés sur sa tête et les habitants de deux quartiers de Rome se disputent sa queue. Les fêtes de l’hiver sont consacrées aux divinités agraires et infernales : en décembre, c’est Saturne que l’on célèbre et le dieu Consus est caché dans un silo de grains. Pendant les Saturnalia, on sacrifiait primitivement des victimes humaines et les esclaves étaient alors, pendant un jour, les égaux de leurs maîtres. En février, les Romains fêtent Faunus dans les Lupercali19. C’est pendant une cérémonie des Lupercales, César étant assis aux Rostres20 sur son trône doré, portant la toge de pourpre et la couronne, qu’Antoine, qui dirigeait une confrérie de Luperques, lui présenta le diadème (un bandeau blanc) qu’il voulait lui attacher sur le front. Cicéron prétend que le peuple ayant murmuré, César écarta le diadème et fit écrire aux Fastes21 qu’il l’avait refusé bien que le consul Antoine le lui offrît sur l’ordre du peuple… Enfin en février, l’année se termine par la commémoration des morts et l’étrange fête du Regifugium au cours de laquelle le « roi des sacrifices », rex sacrorum, dès qu’il avait tué la victime animale, prenait la fuite. Les prêtres exercent une grande influence sur la vie publique. Celui de Jupiter siège de droit au Sénat et le grand pontife possède les secrets de la jurisprudence. La guerre elle-même est un acte sacré : avant chaque bataille, la divinité est consultée et le soldat est consacré par une cérémonie religieuse. Le général vainqueur est comme un dieu, ses soldats le saluent du titre d’imperator et c’est dans un appareil divin que, le jour « du triomphe », il monte au Capitole. 19 Le 15 février (februare, purifier), en l’honneur du dieu Pan, tueur de la louve ayant allaité Romulus et Rémus. 20 Tribune aux harangues de Rome, ornée de proues de navires. 21 Livres ou tables rapportant les faits, les récits mémorables, marquant les fêtes, les assemblées… Romulus, élevé par la louve, groupa les villages du Palatin22 et du Capitole23. Numa Pompilius, le roi Sabin, y adjoignit le Quirinal24, Tarquin l’Ancien, l’Esquilin25. Ainsi furent groupées les trois principales races : latine, sabine et étrusque qui finirent par s’étendre sur les sept collines, dont le Janicule et l’Aventin, entre lesquelles passe le Tibre. Le peuple romain venait de naître. La louve est une divinité infernale que les Luperques exorcisaient à l’entrée d’une bouche d’enfer, le Lupercale, sur les pentes du Palatin et on aurait tort de la considérer comme un « totem » du peuple latin. On montrait, en haut de l’escalier dit de Caïus sur le Palatin, une cabane de bois qui aurait été celle de Romulus et qui peut, en effet, avoir perpétué le souvenir d’un roi fondateur ; de même qu’à l’époque impériale, la maison d’Auguste, dite de Livie, fut pieusement conservée malgré sa pauvreté au cœur des palais. Près de cette cabane, une enceinte carrée limitait un espace sacré au milieu duquel se trouvait peut-être le mundus, c’est-à-dire la fosse où les colons du mont Cermale avaient jeté la terre apportée de leur patrie. Sur la pente occidentale du Palatin, le long de la vallée où fut édifié plus tard le Grand Cirque, une ligne de bornes marquait le tracé d’une enceinte disparue de la première Rome : on pensait que Romulus, selon le rite étrusque ou sabin, avait autrefois tracé cette ligne avec le soc d’une charrue. À partir de la « guerre de Pérouse »26, c’est surtout à l’Étrurie que l’aristocratie romaine demande des leçons. Le Sénat envoie des jeunes gens apprendre l’art augural dans les grandes familles étrusques. En revanche, des Étrusques sont accueillis dans la noblesse romaine et c’est peut-être durant cette édilité27 qu’ils importèrent à Rome un de leur mythe mettant les deux jumeaux fondateurs de Rome sous les pis de bronze de la louve du Lupercale. 22 « Rome carrée » 23 Célèbre pour la Roche Tarpéienne d’où l’on précipitait les condamnés, mais aussi, les généraux vainqueurs y montaient pour le triomphe. 24 Où vivait une colonie étrusque. 25 Occupé par des jardins et cimetières pour pauvres et esclaves. 26 Perugia (ancien nom), en guerre contre Antoine, en l’an 42. 27 Magistrature des édiles. Comme les dernières tombes du forum, la louve de bronze, conservée aujourd’hui au Capitole, date peut-être du IVe siècle, ainsi que les soubassements du temple capitolin, les ruines du mur d’enceinte du Palatin et d’autres reliques archaïques, reliefs de terre cuite, antéfixes28 du Capitole. Au nord du forum, une dalle noire marquait l’emplacement de la tombe de Romulus. Sous la République, on vit à cet endroit un petit monument décoré de deux lions avec cette inscription : « Celui qui violera ce lieu sera voué aux dieux infernaux » En fouillant sous la « Pierre noire », M. Boni a retrouvé en 1899, une stèle brisée sur laquelle est gravée la plus antique inscription29 de Rome, dont le texte, mêlé de quelques mots latins, dérive de l’alphabet étrusque et peut dater du VIe siècle avant notre ère. Plus tard, les Grecs introduisirent au forum le culte d’Hercule, et Rome emprunta aux Étrusques le culte des triades et celui des dieux Lares. 28Motif d’architecture. 29 Première phrase citée du texte en boustrophédon (grec très archaïque). V - La religion romaine classique C’est dans la région centrale du Latium que va naître et grandir la ville de Rome. Tous les ans, les délégués de chaque ville se rendaient à Alba Longa où ils célébraient sur le mont Albain les fêtes du Jupiter latin. Au palais du Capitole à Rome on voit des bucranes (têtes de bœuf décharnées), attributs des prêtres, ainsi que des bonnets1 portés par les flamines, prêtres de Jupiter (flamen Dialis) et de Mars (flamen Martialis). Le mobilier comportait un couteau pour égorger les victimes, qu’un coup de hache avait déjà à moitié assommées, une patère, sorte de coupe avec laquelle on faisait les libations, une cuillère qui servait à puiser le vin, un goupillon et des vases à eau lustrale. La maison avait aussi ses dieux : on adorait surtout celui de la porte, Janus2 ; ceux du garde-manger, les Pénates ; la flamme du foyer, Vesta, à laquelle la mère de famille rendait un culte quotidien et le dieu Lare présidait aux biens acquis et aux champs. Dans la maison des Vettii à Pompéi, on a trouvé un autel domestique de la forme d’un petit temple grec qui porte, peints sur le fond, trois personnages : le père de famille, la tête voilée car il va offrir un sacrifice ; à ses côtés, deux dieux de la maison, pleins de gaîté, court vêtus, une corne à boire en main et au-dessous un serpent, génie de la maison qui rampe vers l’autel où l’on a déposé l’offrande à son intention. On voit, représenté au Louvre, le sacrifice des Suovétaurélies, immolation d’une truie, sus, d’une brebis, ovis, d’un taureau, taurus et pour Jupiter, on n’immolait que des bœufs blancs. S’il ne l’était pas, il était blanchi à la craie. L’eau utilisée devait provenir d’une source à laquelle on ajoutait du sel et l’on y éteignait des torches enflammées. Elle était alors appelée eau lustrale. Devant l’autel se tenait le prêtre, un pan de la toge, rabattu sur la tête, il répandait de l’encens pris dans une boîte que lui tendait un assistant appelé camille. Lorsqu’on offrait des sacrifices, les prêtres faisaient connaître leurs volontés aux hommes et leurs réponses s’appelaient auspices et présages, les signes qu’ils envoyaient d’eux-mêmes selon leur intuition profonde. 1 Apex. 2 Même racine que Jupiter. Le mois de janvier Januarius lui est consacré. Au-dessus des divinités familiales, se tenaient les grands dieux protégeant la nation : Jupiter, celui de Rome depuis Romulus et Mars, le dieu de la guerre. Les principales corporations de prêtres étaient les pontifes, les augures, les vestales et ces dernières restaient au service de la déesse de dix à quarante ans et ne pouvaient se marier. Si elles enfreignaient ce vœu, elles étaient enterrées vivantes. À Florence, au musée des Offices, on voit un autel orné d’un bas-relief : au centre, l’empereur Auguste, représenté en augure, tient un bâton en forme de crosse avec lequel les augures délimitaient dans la voûte céleste un espace appelé temple (templum) dans lequel ils observaient le vol des oiseaux. À ses pieds, un poulet sacré picorait, et selon qu’en mangeant il laissait tomber ou non des grains de son bec, la réponse était favorable ou défavorable. Au Cabinet des médailles, il est d’anciennes monnaies romaines représentant soit le dieu Janus soit un bœuf en bronze d’environ 300 g. Elles apparurent au IVe siècle et celles d’argent au début du IIIe. Pour leurs paiements, les Romains se servirent d’abord de bestiaux, pecus, pecunia, puis ils les remplacèrent par des lingots de bronze que l’on pesait. À Janus était consacré le premier mois de l’année et il est représenté avec un double visage : l’un regarde vers l’intérieur de la ville, l’autre vers l’extérieur. Dieu des Portes, son temple était fermé en temps de paix mais ouvert en temps de guerre parce que l’armée romaine sortait alors de la ville puis y rentrait. Lorsque le défunt avait rendu le dernier soupir, les membres de la famille réunie l’appelaient à haute voix, selon le rituel de la conclamation (en latin conclamatio), tout en se lamentant, puis le cadavre était exposé sur un lit d’apparat. Le jour des funérailles, le cortège funèbre comprenait des musiciens3 jouant de la flûte4, des pleureuses à gages, un mime qui contrefaisait les gestes, les paroles, les travers même du défunt, puis suivait le cadavre porté sur une litière, enfin les parents et amis. Ensuite, on plaçait le corps dans un cercueil ou un sarcophage et on l’enterrait. Les parents jetaient un peu de terre en disant « Que la terre te soit légère », ou bien on le brûlait et l’on recueillait les cendres dans une étoffe de lin que l’on plaçait dans une urne funéraire. 3 Les aulètes. 4 Auloi. La soumission de Rome et du Latium à une dynastie étrusque hellénisée, celle des Tarquins, avait eu pour conséquence la création d’une nouvelle trinité latino-étrusque composée de Jupiter, Junon et Minerve, ainsi que la construction d’un temple célèbre qui lui fut consacré au Capitole pour recevoir les idoles en terre cuite de ces divinités. Ce fut le premier pas vers l’hellénisation de la religion romaine. Le deuxième consista dans l’adoption par Rome des « Livres sibyllins »5 du temple d’Apollon à Cumes, adoption que la tradition fait remonter au temps des Tarquins au VIe siècle. Dans les circonstances graves, le Sénat confiait à ce collège le soin de consulter les Livres sibyllins où se trouvaient des indications sur la nécessité d’introduire tel ou tel culte naturellement grec. C’est par cette voie qu’eurent lieu les assimilations suivantes : Jupiter-Zeus, Junon-Hêra, Minerve-Athéna, Diane-Artémis, Mars-Arès, Vulcain-Héphaïstos, Vénus-Aphrodite, Mercure-Hermès, Cérès-Déméter comme nouvelles divinités. Dès les premières années de la République, en suivant les exigences des Livres, on construisit un temple à la trinité d’Éleusis. À savoir : Déméter-Coré-Bacchus (en grec Bakkhos), ce dernier assimilé à Dionysos. Cette trinité prit le nom de Cérès-Liber-Libera et son temple devint le lieu de ralliement des plébéiens dans la lutte des ordres, comme le temple du Capitole était le centre de ralliement des patriciens. Les Livres sibyllins conseillèrent de transporter à Rome le culte de la Mère des dieux. La Sibylle entendait par là, le culte de la Terre-mère hellénique, mais comme à cette époque, on avait, selon la réforme de Timothée, assimilé celle-ci à la déesse phrygienne Cybèle, tout ce culte orgiaque était devenu la religion officielle du royaume de Pergame et la Pierre noire, lapis niger, de Pessinonte fut transférée à Rome. Au spectacle de tout cet orgiaque oriental, surtout de la part des prêtres eunuques (se castrant eux-mêmes), les galles (galloi) qui répugnaient à la conscience des Romains, il se produisit un dégrisement absolu. 5 La légende dit qu’une vieille femme alla trouver Tarquin pour lui vendre neuf livres d’oracles divins. Trop cher dit-il. Il rit. Elle brûle trois livres. Il rit. Puis trois autres. Tarquin acheta les trois derniers au prix des neuf… Les galles furent cloîtrés dans une sorte de monastère sur le Palatin d’où ils ne sortirent que quatre fois par an pour célébrer le culte de leur déesse Cybèle et pour stipem cogere (faire la quête). L’invasion de ces cultes étrangers se vit arrêter pour longtemps. Toutefois, sous le masque d’une déesse grecque, s’était glissée à Rome l’une des divinités principales de l’Orient qu’il était impossible d’assimiler aux numina6 romains, parce qu’elle les contenait tous en elle. Ainsi se préparait le terrain pour l’orientalisation de la religion romaine. Le premier siècle avant J.-C. fut une époque de décadence pour l’antique religion gréco-romaine, malgré les efforts d’Auguste pour la restaurer. Le souverain s’attacha à rebâtir les temples qui s’écroulaient et en bâtit de nouveaux en l’honneur de son dieu protecteur, Apollon d’Actium ou celui de Jupiter Capitolin. Il encouragea la noblesse à remplir les fonctions sacerdotales de l’ancienne Rome et à consacrer ses filles aux collèges de Vestales. Les empereurs, qui régnèrent ensuite, suivirent l’exemple du fondateur de l’Empire. L’importance prédominante de ce souci de leur part s’exprime par la prééminence du titre de pontifex maximus qu’ils ont tous porté. Cependant, le caractère universel de la puissance romaine exigeait une religion qui fût capable d’unir toutes les parties de l’Empire et qui parlât aussi bien au cœur de l’Espagnol qu’à celui du Syrien. Le culte des empereurs combla cette lacune, et l’on vit instaurer d’abord le culte de l’empereur mort, puis le culte de l’empereur vivant. Auguste n’eut pas de difficulté à faire déifier son défunt père César, à le faire honorer comme divus Julius et à lui consacrer un temple et des prêtres. Après les Césars, la consécration se continua sous les Flaviens7 et ne fit que croître sous les Antonins8 et les Sévères9. Mais parmi tous ces divi, ceux qui jouissaient le plus du respect et de l’amour de leurs descendants, étaient Auguste et Marc-Aurèle. 6 Le numen est l’action d’un dieu. Il exprime sa puissance propre, sa volonté. 7 Vespasien et ses successeurs. 8 Nom donné aux sept empereurs de cette période de paix. 9 Empire militaire. Quant au culte de l’empereur vivant, il prit à Rome le nom de culte du génie de l’empereur en s’appuyant sur celui du chef de famille qui existait dans chaque maison depuis un temps immémorial. L’importance de cette innovation s’exprima surtout dans l’armée romaine : le buste de l’empereur prit donc place au-dessous des aigles des légions et c’était devant cet autel que les recrues prêtaient serment. Après la mort violente d’Alexandre Sévère en 235, commença pour Rome une période de troubles qui dura un demi-siècle pendant lequel les empereurs se succèdent avec une effrayante rapidité. Sous Dioclétien10, qui fonda la Ve dynastie, l’Empire reçut la forme d’une constitution monarchique orientale sous laquelle elle subsista encore deux siècles. Ce système de corégence de deux empereurs nourrit de nombreux troubles, jusqu’à ce que se fût dégagée la puissante individualité de Constantin le Grand qui promulgua en 313 à Milan, l’édit célèbre qui transformait l’Empire païen en Empire chrétien : « Le monde antique s’achève » 10 Partage de l’Empire : celui d’Orient (Valérien) et celui d’Occident (Gallien) en 253. VI - Temples de la Rome antique Des fouilles faites à Rome depuis un demi-siècle ont mis au jour beaucoup de temples que les démolitions successives avaient ensevelis quelques fois à plus de neuf mètres au-dessous des constructions nouvelles. « Les collines s’élèvent sur les décombres », décrit Frontin, IIe siècle Sur la place du forum de César, achevé par Auguste et construit à l’entrée du vieux forum, on peut voir, entouré de trois côtés, le temple de Vénus Genitrix, dressé sur un podium très élevé, auquel d’étroits escaliers latéraux donnaient seuls accès. Il était octostyle, son pronaos, profond de trois colonnes, précédait une cella ornée de colonnes engagées, terminée par une abside arrondie. Il fut complètement restauré sous Trajan et c’est de ce règne que datent les trois belles colonnes qu’on a pu relever. La décoration est de marbres admirablement ciselés : coquilles, dauphins, amours jouant avec les armes de Mars ou domptant des taureaux, groupe de Vénus sortant des flots, belle frise aux somptueux rinceaux d’acanthe, comme celle du temple conservée à la Villa Médicis… Mais on discute encore du type de la statue de Vénus Genitrix que renfermait la cella et dont le temple s’élevait au centre du nouveau forum créé par César. Le sculpteur Arkesilaos créa pour les amateurs romains des œuvres non exemptes de mièvrerie qu’on se disputait à prix d’or (notamment cette Vénus). De la période de Sylla et de Cicéron, peu de monuments sont restés intacts si l’on excepte à Rome la noble façade du bâtiment des archives, achevé en 78, le temple dit de Mater Matuta qui date de 50 et d’un style ionique dégénéré, le temple dorique de Cori1 et la pompeuse terrasse du temple de Préneste. Le temple de Mars Vengeur, élevé en accomplissement du vœu fait à Philippes2 et servi par les prêtres Saliens, formait le centre du forum d’Auguste au pied de la colline de Suburre (sur l’Esquilin). 1 L’ancienne Cora, ville des Volsques. 2 En Macédoine. Lieu d’une bataille qui opposa les armées de Brutus et de Caïus à celles d’Antoine et d’Octave. Plus accueillant que celui de Vénus, il présentait en façade de hauts gradins ; les sept colonnes élancées de neuf mètres cinquante étaient de cipolin (calcaire cristallin) et de marbre, dont le podium était aussi revêtu et orné de festons et de plaques de bronze doré. La cella à abside, en retrait sur un large pronaos, abritait le groupe statuaire de Mars et de Vénus. Un temple de Minerve ornait le forum de Nerva3, mais le plus vaste temple était celui de Vénus et de Rome, élevé par Hadrien face au Colisée et reconstruit plus tard par Maxence. Il comportait deux cellæ accolées par l’abside : celle de la déesse Rome qui regardait le forum (encore englobée dans l’église de Sainte Françoise romaine), et celle de Vénus qui présente aujourd’hui sa haute abside à caissons vers le Colisée, au fond de l’esplanade dégagée. Les archéologues se sont toujours demandés où Hadrien avait puisé le modèle de son temple et l’on s’accorde à penser que ce fut au cours de ses voyages en Grèce. En effet, il ne manquait pas dans la péninsule d’édifices doubles qu’il eut certainement l’occasion de visiter, telles deux constructions en Arcadie : l’une sur la route de Mantinée à Argos, consacrée à Aphrodite et à Arès, l’autre à Mantinée même que se partageaient Asclépios et Léto. Selon Charles Picard, on peut aussi envisager un modèle asiatique. Il y avait en effet à Pergame, un temple double consacré à Athéna et Zeus, qui semble-t-il, se divisait dans le sens transversal. On a ainsi une nouvelle preuve de l’influence les voyages de l’empereur Hadrien qu’eurent sur la formation de son goût artistique. La grande nef de la basilique Saint-Pierre repose sur un cimetière païen de grande étendue, dont les chambres funéraires furent comblées sur l’ordre de Constantin. Les mausolées, d’un plan uniforme, comprenaient une antichambre décorée de stuc, et une salle voûtée, dont les parois creusées de niches sont parfois ornées de fresques. La même tombe a dû appartenir successivement à des propriétaires de croyances différentes. Cela se voit par la juxtaposition des motifs religieux les plus divers : égyptiens, bachiques, chrétiens (palmes et colombe)… L’un de ces derniers sarcophages est décoré d’un bas-relief représentant l’adoration des mages, et sur le siège de la Vierge portant l’enfant Jésus, on note le signe de la Croix, dont on n’avait point jusqu’ici d’exemple aussi précoce. 3 Marcus Cocceius, empereur. Une mosaïque chrétienne, la plus ancienne que l’on connaisse, représente la scène de Jonas englouti par la baleine qui voisine avec une représentation d’Hélios sur son char. L’interprétation du paganisme et du christianisme est bien le fondement de notre héritage romain. Ces fouilles permettent de reconstituer de façon certaine l’histoire de la colline vaticane, dont le nom figure déjà sur une inscription retrouvée en cet endroit : In Vaticanus ad Circum. Nous sommes là sur un terrain vulnérable et sacré entre tous. Une nécropole païenne s’y établit tout d’abord. Saint Pierre et bon nombre de chrétiens y furent inhumés après avoir subi le martyre dans le cirque tout voisin de Caïus et de Néron. Enfin, Constantin fit aplanir la colline et combla la vallée occupée par le cirque pour jeter les fondements de sa basilique. Et il faut croire qu’il tint essentiellement à l’élever en cet endroit à cause des souvenirs sans prix qui y étaient attachés. D’autre part, on a découvert sous la basilique Saint-Laurent, deux dédicaces d’un prêtre, Solis Invicti Mithræ, ce qui laisse à penser qu’il existait à cet endroit un lieu de culte souterrain, spelæum, où les fidèles de Mithra se réunissaient et qui fut peut-être une ancienne propriété chrétienne enlevée à ses premiers possesseurs lors des persécutions de Gallien ou d’Aurélien. VII - Étranges Saturnales L’adoption du culte de Mithra1 par les Romains prépara la voie aux divinités solaires syriaques qui furent les derniers à recevoir le droit de cité à Rome avant l’adoption du christianisme. Aurélien y transféra le Baal de Palmyre et il donna au culte de ce dieu des formes que Rome pouvait admettre. Comme le nouveau dieu était le soleil, sa principale fête se plaçait au jour du solstice d’hiver, le 25 décembre, natalis sol invictus, et c’est à ce titre que cette fête, du 17 au 23, prolongea tout naturellement les anciennes Saturnales dans le gai rituel desquelles elle fut incorporée. La fête était des plus bruyantes : les Saturnalia avaient été introduites sur l’indication des Livres Sibyllins. Comme Saturne était assimilé au dieu grec Cronos, père de Zeus, on perpétuait, comme aux Cronies grecques de la période attique, le souvenir de l’âge d’or, qui se célébrait en juillet, mois de l’Hécatombées2 athénienne. À cette époque, les esclaves étaient employés d’abord comme domestiques prenant part aux travaux à côté de leur maître. Ils formaient avec eux une grande famille unie par les liens religieux que créait l’aspersion accompagnant le sacrifice. Lorsqu’un nouvel esclave arrivait, on versait sur lui des friandises en symbole de la vie qui l’attendait et un repas rituel, dapes, était servi. Personne ne leur interdisait de s’asseoir en présence de leurs maîtres et à cette fête, ils étaient traités en égaux. Les esclaves étaient invités et recevaient la liberté de paroles, les sénateurs et les chevaliers se dépouillaient de la toge, on coiffait le pileus (bonnet de l’affranchi), on se donnait mutuellement des cierges pour aider le nouveau soleil et l’on faisait cadeau aux enfants de poupées et autres jouets, on s’amusait dans les rues et les places au cri de Lo Saturnalia, Bona Saturnalia ! Mais l’idée qu’il y eut quelque immoralité dans ces fêtes est fondé sur un malentendu. Le bon plaisir du maître était réfréné par la loi et surtout par la coutume. On ne trouve à cette époque rien de comparable aux horreurs du servage ou de l’esclavage en Amérique. 1 Mithra, au sens de « contrat ». Il est maître de troupeaux de bœufs et son culte se répand dans le monde hellénique et romain. Coiffé d’un bonnet blanc, il immole le taureau primordial. Sa fête, le 25 décembre, est à l’origine de celle de Noël. 2 Hécatombê, sacrifice de cent bœufs en l’honneur d’Apollon. VIII - La famille chez les Romains La famille chez les Romains ne conserve pas toujours son caractère sacré et inviolable. Elle subit vers la fin de l’empire d’assez profondes modifications dans sa constitution et dans ses droits. Mais à l’origine et dans la plus grande splendeur de la République, le type de la famille était plutôt la famille souche. Les historiens du droit romain ont fort justement remarqué que ni la naissance ni l’affection ni la supériorité de force du mari sur la femme et du père sur les enfants n’étaient le fondement de la famille de ce peuple. Ce qui en unissait les membres, c’était quelque chose de plus puissant que la naissance, que le sentiment ou que la fore physique : c’était la religion du foyer et des ancêtres. Elle faisait que la famille formait un corps dans cette vie et dans l’autre, et il est exact de dire qu’elle était une association religieuse plus encore qu’une association de nature. Le père tenait, à la vérité, la tête de la hiérarchie, mais seulement parce qu’il était le chef suprême de la religion domestique. La femme était considérée comme mineure, la fille ne pouvait avoir droit à l’héritage paternel, puisqu’elle était appelée à se marier et qu’en se mariant, elle renonçait au culte du père pour adopter celui de l’époux. Le fils, qui avait été émancipé ou qui avait renoncé à ce même culte du père, ne comptait pas non plus. Seul l’enfant mâle qui restait au foyer et qui pouvait perpétuer la famille et le culte domestique avait droit à la possession du foyer et aux biens qui en dépendaient. Cicéron a exprimé cette règle par ces mots : « La religion prescrit que les biens et le culte de chaque famille soient inséparables et que le soin des sacrifices soit toujours dévolu à celui à qui revient l’héritage ». De ce principe, est venu du droit de succession, que la religion domestique étant héréditaire de mâle en mâle, la propriété l’était aussi, que le père n’avait pas besoin de faire un testament, que le fils héritait de son plein droit. Les héritiers, heredes sui, deviennent à la mort du père de famille, sui furis. Ainsi s’exprimait la langue juridique de Rome. IX - La fin de la République romaine La ville de Rome est née de la fusion de deux communautés : l’une latine, le Palatin, l’autre sabine, le Quirinal. Dans la période de son histoire dite « royale », elle soumit les villes voisines du Latium, puis tomba entre les mains des Tarquins, rois de la cité, jusqu’à la chute de cette dynastie (en 510 avant J.-C.). Alors commencèrent des guerres interminables entre la Rome républicaine et les cités voisines étrusque, sabine et volsque. La prise de la ville étrusque de Véies par Camille en 396 donna la prépondérance à Rome, mais ce succès fut bientôt annihilé par le désastre infligé par les Gaulois Sénonais de Brennus (bataille de l’Allia au nord de Rome) qui aboutit à la prise de la ville (hormis le Capitole). Ce fut en 295 que commença la rivalité entre les deux civilisations, italique et osque, cette dernière déjà entrée dans sa décadence. Vers cette époque, la civilisation grecque avait son centre à Tarente et grâce à Alexandre, l’hellénisme avait conquis tout l’Orient. Rome triompha de Tarente en 272, mais en même temps se soumit elle-même à la prépondérance de la civilisation hellénique. Après les guerres puniques1, le deuxième siècle, époque de prospérité pour la République romaine, fut caractérisé par son conflit avec l’Orient grec qui donna la victoire à Rome et son influence se consolida dans la mer Égée et sur les côtes de l’Asie Mineure. À l’Ouest, dans une série de guerres, furent conquises d’abord la Gaule cisalpine, puis une partie de la Gaule transalpine que les Romains appelaient Provincia (d’où est venu le nom de Provence). Toutefois, l’empire s’était tellement agrandi et dispersé qu’il en résulta des troubles dans diverses provinces. Dans les désordres qui suivirent l’assassinat de César (aux ides de mars 44), il s’agissait plutôt de luttes de personnes qui se stabiliseront. César s’appuyait sur l’Occident, Octave sur l’Orient romain et Antoine sur son alliée Cléopâtre, reine d’Égypte. Octave, victorieux à Actium en 31 av. J.-C., soumet l’Égypte. Il devient le successeur des Ptolémées, prend le titre honorifique d’Auguste : il est le second des Césars. L’époque républicaine était close, l’Empire commençait. 1 En résumé : rivalité entre Rome et Carthage pour la conquête du bassin occidental de la Méditerranée.