VII – LE SABRE D’ALLAH

  I – Mahomet, le fondateur La masse des Arabes adorait des génies ou des idoles, rassemblés au nombre de 3601 à La Mecque (La Mekke) dans un sanctuaire commun, la Kaaba,2 et chaque année les fidèles venaient les vénérer. La Kaaba abritait aussi des statues d’Abraham, de Jésus-Christ et une « Pierre noire » que la tradition disait avoir été jetée du ciel par l’ange Gabriel à Ismaël pour y reposer sa tête, lorsque lui et sa mère Agar eurent été chassés par Abraham. La Kaaba était placée sous la garde de la tribu des Koraïchites3 car Mahomet, en arabe Muhammad, c’est-à-dire « digne de louange », naquit vers 570 à La Mecque dans cette tribu. Il appela ses fidèles moslems (qui se soumettent à Dieu), aujourd’hui, musulmans, après une vision sur le mont Hira où l’ange Gabriel lui avait enjoint de se soumettre à Allah, dieu unique et tout puissant. Il devint ainsi le prophète de l’islam avec la mission de « réciter » ce que lui dictait le Ciel. Encouragé par sa femme Khadidja, riche propriétaire de caravanes, il commença sa prédiction et gagna quelques amis, dont Omar et Abu-Bakr. En but à l’incrédulité de son clan et craignant pour sa vie, il s’enfuit de La Mecque et se réfugia à Yathrib qui prit plus tard le nom de Médine « la ville du prophète ». Ce fut l’hégire, en arabe hidjra au sens de « émigration ». Les musulmans feront commencer leur calendrier à partir du 16 juillet 622. 1 Principalement les déesses Al-Lat, Al-Ozza, Manat et le grand dieu Hobal. 2 Ka’Ba. Au sens de cube, et bien antérieure à l’islam. 3 Qoraïchites, Quraychites. « Requins » en arabe. Elle comptait deux clans importants, les Hachimides et les Abd Shams. II - L’énigme de Saba Les Arabes, ceux d’hier et d’aujourd’hui, étaient et sont encore de formidables bâtisseurs. Ils ont le sens de l’architecture et leurs édifices de briques séchées au grand soleil du désert défient les siècles. Au milieu du désert arabique, la vallée des Addites est, selon la légende, le cimetière des anciens rois du Yémen et nombre de voyageurs, arabes ou non, ont vu de plus ou moins loin ces tombeaux. Il est, dit-on, des trésors au-dessous de ces cubes noirs qui recouvrent des corps de rois, de guerriers, de conseillers. Sans doute, sont-ils profondément enfouis comme ceux des grands d’Égypte et les Bédouins, insouciants et fatalistes, n’ont pas encore trouvé le chemin des sépultures. Il en est de même de la capitale de la reine Balkis, Saba, dont on n’a pas encore trouvé trace. Cependant, un Allemand, Hans Hellfritz, croit avoir découvert l’emplacement de la cité en question et il en fait la narration dans son livre « Mystère de Schobua » que la traduction donne pour « Au royaume de Saba ». D’après lui, Saba serait la « Ville aux trois collines » située au nord-ouest d’Hadramaout, non loin du sultanat de Chibâm. Un scheïkh ou cheik y règne en maître et aucun Européen n’avait encore pénétré dans cette ville bâtie sur les ruines de la capitale de l’admiratrice de Salomon. Cette cité est d’ailleurs misérable et ses habitants y vivent pauvrement de la vente du sel qu’ils ramassent dans les montagnes voisines, mais telle est leur croyance en l’existence de trésors fabuleux ensevelis dans la vallée qu’ils interdisent l’accès du village aux étrangers. En effet, une partie du Yémen est inexplorée et ses habitants, guerriers toujours en conflits entre eux, n’éprouvent aucune sympathie pour les « roumis ». À vrai dire, l’entrée de ces territoires leur est interdite et lorsqu’on y risque une promenade, elle se change bien souvent en « rencontre » avec des hordes de bandits. Du haut d’un avion, les trois collines en cercle apparaissent couvertes de ruines. Des pans de murs énormes, des inscriptions sablonneuses et les reliefs du palais royal construit dans un vallon, c’est tout ce que l’on a pu en voir jusqu’ici. En vérité, ni les écritures ni les écrivains ne sont d’accord sur le chemin qu’aurait emprunté la reine Balkis pour aller prendre auprès du roi des Juifs des leçons de sagesse. Si l’on en croit certains conteurs, Salomon ne dédaigna pas les charmes de la royale voyageuse. Le résultat fut la naissance de David qu’elle envoya plus tard à l’université de Jérusalem afin d’y apprendre les doctes rudiments de la science et de la littérature juive. Depuis des années, Salomon avait fui Jérusalem. Les démons, asservis au sceau, dont le dernier caractère ne peut être lu que par les morts, l’avaient suivi à travers le désert et dans une de ces vallées où la roche blanche affleure comme un squelette de chameau. Le roi, qui avait écrit le plus grand poème du désespoir humain, regardait, appuyé sur le haut bâton du voyageur, les démons qui depuis des années et des années élevaient dans la plaine le palais de la reine Balkis. Puis un jour, roi et bâton tombèrent en poussière et les démons, abandonnant les escaliers babyloniens qui ouvraient sur le ciel, coururent à la ville : elle était déjà presque en ruine et la reine était morte depuis trois cents ans. Ils cherchèrent son tombeau jusqu’au fond des montagnes et le trouvèrent ici précédé de l’inscription illustre : « J’ai déposé mon cœur enchanté sur des roses et j’ai suspendu au baumier une boucle de ses cheveux ». Et celui qui l’aimait, serre sur son cœur la boucle et s’enivre de tristesse en la respirant… Les démons s’enfuirent épouvantés, ayant trouvé la reine aux jambes inégales dans un cercueil de cristal que veillait, immobile, silencieux et constellé de mystérieuses étoiles, un serpent immortel. Des siècles, le petit tas de cendres royales demeura ici, la haute couronne tombée à la renverse comme les ornements et le sceau. Il est là encore, dit-on, et c’est lui qui depuis trois millénaires protège le tombeau… Un jour peut-être les pasteurs l’ouvriront-ils et trouveront-ils, stupéfaits comme les bergers kurdes du Louristan, tout un peuple de squelettes royaux portant dans leur bouche un mors orné d’animaux barbares… III – Voyage dans les villes saintes de l’Arabie Le secret dont s’entoure le pèlerinage de La Mecque pourrait laisser supposer des rites mystérieux dont l’Européen ne peut avoir de part. Les Arabes, de retour des lieux, parlent peu, écrivent encore moins et aucune image ne représente ce spectacle unique d’une foi, fervent et magnifique dans son fanatisme oriental. Il n’est certes pas défendu à un chrétien de se convertir à l’islam (seuls les israélites envers lesquels les musulmans cultivent une haine particulière, sont exclus), mais il doit subir un temps d’épreuve à Djeddah ou Djedda où pendant trois ans, il est surveillé étroitement. Sur le bateau qui les transporte, les pèlerins de La Mecque ont dépouillé le costume qui faisait d’eux un caïd, un berger nomade ou un simple paysan ; tous ont drapé leur nudité dans deux bandes de tissu assemblées, dont l’une ceint leurs reins et l’autre est rejetée sur les épaules. Ils ont chaussé les naïls*, ont fait raser leur crâne, se sont purifiés des pieds à la tête. Deux heures de prières et ils iront, munis de petits arrosoirs ou de petits seaux, chercher l’eau pour leurs ablutions. Et chaque jour, tous d’un même geste, d’une même prière se prosternent dans la direction de la Kaaba, vivant d’un même et saint espoir : toucher du front la Pierre noire, la pierre miraculeuse offerte à Abraham par l’ange Gabriel. Beaucoup pour effectuer ce voyage ont vendu ou leur maison, ou leur champ ou leur troupeau. Quand ils reviendront, ils n’auront plus pour vivre que l’effort de leurs bras fatigués, mais qu’importe ! Ils auront gagné leur part du ciel et qui sait si Allah ne leur fera pas la grâce de les faire mourir en Terre sainte. Et pendant que le bateau s’avance sur les eaux brûlantes de la mer Rouge, les voix de tout un peuple psalmodient un poème où les noms des lieux saints : Arafat, Minen (Minâ) passent tour à tour mêlés aux invocations ferventes qui emplissent le bateau, des cales aux entreponts « Lebek, Allâhura Lebek1 ». « Me voici tout à vous, ô Allah ! ». * Orthographe incertaine. 1 Labbaïka-allahumma-labbaïka : « Me voici, ô mon Dieu, me voici ». Après Port-Saïd, le canal avec ses landes désertes et ses lacs gris d’acier poli fait défiler devant nos yeux fatigués sa grève si basse qu’elle se confond avec l’horizon, de petites barques poussées par un vent d’ouest naviguent de concert afin de pouvoir se secourir en cas d’aventure dans les courants et les remous provoqués par le charroi des eaux du Nil dont les alluvions rougissent la mer. Port-Saïd s’est beaucoup agrandi depuis la guerre aussi bien du côté de l’Arabie que vers Damiette. Pour se protéger contre les ensablements du Nil, on a prolongé la jetée ouest jusqu’à la mer, tandis que sur la pointe du môle primitif, le bronze de Lesseps au bras tendu vers le canal donne à l’horizon une émotion singulière. Dès qu’on avance en mer, le canal, jusqu’à la pointe du Sinaï, est bordé de montagnes arides, de rocs dévorés de soleil, de falaises désolées qu’aucune verdure n’égaye. Le mont Sinaï dresse derrière Tor, sa pointe élancée, pic sacré où Moïse conversa avec Dieu. Derrière encore, la Bible surgit de ces montagnes brunes, Sodome et Gomorrhe endormies dans leurs cendres. Le désert est demeuré tel qu’il était aux temps héroïques où la reine de Saba le traversait pour rendre visite au roi Salomon. Ici, la Bible et le Coran se rejoignent et l’on comprend l’émotion qui s’empare des passagers lorsqu’on signale quelque part sur la côte invisible, Babagh qui marque l’entrée dans les eaux saintes, le commencement de l’Ir’ham (Irham), premier état de consécration du pèlerinage. La légende raconte que lorsque l’ange Gabriel2 apporta du ciel à Abraham la Pierre noire, elle brillait alors d’un tel feu que la lueur en fut aperçue jusqu’à Babagh. Derrière ces monts, les pèlerins retrouvent la patrie perdue, la terre de leurs ancêtres gardienne de leurs tombeaux. Tous sont penchés vers cette rive perdue dans la nuit. Ils reconnaissent le climat de leur race, dont le souvenir est resté par atavisme fidèlement planté dans leur âme. Sous un ciel pesant la chaleur est lourde lorsque nous entrons dans le canal de Djibouti. La marée et le manque de fonds forcent le navire à demeurer assez loin de la rade. 2 Djibril en arabe. Quelques fines embarcations nous apportent des grenades dans des couffins et les gars Somalis, tous noirs avec leur petit toupet crépu sur le haut du crâne nous offrent de médiocres vanneries, des plumes d’autruche et quelques couteaux de Danâkils3. Dans le désert gris, quelques palmiers posent leur tache sèche ; à l’horizon une chaîne de collines violettes dresse ses escarpements dénudés sans herbes ni arbres. Dans les trois bazars de la place du Ras Makkonem, le passager peut à loisir faire ses emplettes. Les vendeurs somalis qui parlent plusieurs langages européens tous incertains et incompréhensibles tentent de traduire par des contorsions les prix excessifs des objets disparates qu’on trouve dans ces factoreries : casques, voiles, chaussettes, friandises et pharmacie, étoffes et épicerie et même de grands gramophones comme des couronnes mortuaires… Jusqu’à ce qu’un guide en un français plus accessible ne vienne pour mettre d’accord vendeurs et acheteurs, moyennant pourboire, bien entendu. Cependant, le bateau, qui doit aller se ravitailler à Aden, continue sa marche lente dans le chenal étroit entre les bouées blanches et rouges qui délimitent les fonds mauvais. L’eau est entièrement limpide et laisse entrevoir tout un monde aquatique : oursins aux longues épines, crevettes charnues et diaphanes, poissons zébrés ou tigrés de grosses taches noires. Les courants capricieux de ce fond d’océan nous ont déportés vers les récifs qui avoisinent le port. Par masses sombres, la citadelle, les quais, le désert et l’Arabie défilent devant nous lentement. Le bateau prend place entre deux bouées qui délimitent l’arrivée sous-marine du pipe-line marqué par une série de gros flotteurs en liège. Il fait nuit, et tout l’Orient endormi pendant le jour intolérable, ressuscite, bourdonne, frétille et sur chaque boutre, caïque, lougre ou canot, des voix stridentes, des hurlements, des jurons se donnent la réplique. Le soleil levant nous révèle au sortir d’Aden le plus lépreux des rivages : des cailloux, du sable, le recul infini du désert sans verdure… Et nous arrivons à Djeddah ! De loin, cet assemblage de maisons blanches a l’air d’une ville mollement endormie sur le sable au pied des montagnes mauves du Hedjaz. L’accès au port défendu par des récifs de corail blanc force les navires à rester à deux milles en mer. 3 Peuple Afar. Dès qu’un navire est en vue, mille petits esquifs volent vers lui, avec leurs grandes voiles en triangle, ils fendent l’air, et leur étrave mince et effilée déchire l’eau violette ou turquoise où se balance leur mât unique, haut dressé comme un échafaudage oscillant sur les vagues. Rien n’est plus joli quand il déplie sa voile telle une fleur qui s’épanouit. Leur rassemblement semble un vol de mouettes zigzagant dans les étroites passes. Djeddah, toute blanche au fond de la rade, brûle sous le soleil : c’est le seul endroit de la Terre sainte où l’Européen peut poser le pied et où les éminences de toutes les nations s’ennuient « à qui mieux mieux » sur cette terre ingrate du Hedjaz. La Mecque a cédé à Djeddah le rôle de capitale diplomatique et lorsqu’une grave question est à débattre, c’est le roi lui-même qui se déplace. Djeddah, c’est encore autre chose. Son nom signifie Grand-mère ou Grande mère. Voici pourquoi : L’histoire est bien ancienne puisqu’il s’agit de Noé. Un jour que le patriarche et son fils Cham se promenaient sur le bord de la mer, ils virent une excavation longue d’environ quatre-vingts mètres. Qu’est-ce donc, demanda Cham ? Mon fils, c’est le tombeau de notre mère Ève. Cependant, de cette sépulture de la mère de toutes les races éparses dans le monde ne reste qu’un mur démantelé : Ibn Séoud a détruit la coupole, comme il a renversé les tombeaux des saints autour desquels l’islam égarait ses prières. À l’intérieur de la ville, les maisons, toutes blanches, ont l’air d’un décor planté de travers : les minarets copient la tour de Pise, les murs escaladent le ciel en tangente. Qu’y a-t-il derrière les moucharabiehs de ces hautes demeures biscornues ? Tout semble endormi comme dans un palais des mille et une nuits et un soleil de plomb pèse sur toute la ville sans que la mer apporte la moindre brise tandis que la Croix du Sud monte lentement à l’horizon. À la voix du muezzin qui chante le dernier appel4 à la prière, tout le monde s’éveille dans les maisons blanches qui demeurent claires dans l’ombre. C’est par la porte de l’Orient, double bâtisse toute blanche gardée par des Ikhwans en armes, que l’on va vers La Mecque, pays mystérieux interdit aux Européens. 4 Adhân en arabe. Et c’est immédiatement le désert, campagne désolée ensevelie sous le sable bosselé de dunes avec au loin les pentes dénudées de petites collines où, tout à fait à l’horizon, se profilent des montagnes. Pas un arbre ne jalonne la piste creusée de profondes ornières. Ça et là, quelques touffes de zakousse (zakoum), l’arbuste de l’enfer épineux et amer, quelques vieux bidons de mazout épars… Sans interruption, les caravanes silencieuses se succèdent, camionnettes aux ressorts geignants, les chegdefs se balancent sur le dos des chameaux et de chaque côté, les pèlerins à pied portent des ballots sur la tête ou suspendus à un bâton posé sur l’épaule. Toutes les races se rencontrent. Les Yéménites aux longues chevelures d’ébène hirsutes tombant sur les épaules, le regard fixe comme en extase, passent au milieu des caravanes. Des Chinois, des Hindous et des Afghans aux barbes teintes au henné, des Égyptiens, des Turcs, des Africains du Nord, des Persans, des Syriens, des Irakiens, des Sénégalais… Ce sont les États généraux du monde islamique. Les bédouins recouvrent leur peau de bronze dévorée par le soleil de loques d’un rouge cuit. Des litières transportant un vieil homme, une femme malade, voltigent au-dessus des têtes. On distingue à peine les femmes sous les burnous les couvrant de la tête aux pieds, sous les voiles qui les dissimulent et sous les masques de paille tressée cachant le visage, et dont les yeux sont défendus par un petit volet mobile et transparent. Quelques pèlerins portent un fusil en bandoulière, vestige des temps anciens ; quelques autres, le turban vert privilège des hadji, au sens de « qui ont déjà fait le pèlerinage », comme une délivrance. Certains viennent de l’Inde ou du Sénégal, gagnant leur vie étape après étape. Partis tout jeunes, ils sont maintenant à l’âge mûr et souvent accompagnés d’une famille. D’autres ont voulu faire à pied l’étape dernière du pèlerinage et dévalent la piste, presque nus, le vent déployant leurs serviettes comme des étendards. Autrefois, des caravanes armées, fortes en nombre, se formaient pour se défendre des pillards qui infestaient les routes, mais Ibn Séoud a mis bon ordre à cela et il ne reste de cette période d’insécurité que les petits fortins où veillaient les soldats turcs. À mi-chemin, Bahra, près de Ouedi-Fatima offre au pèlerin fatigué quelques refuges garnis de litières de paille perchées sur de hauts pieds et dans quelques baraques, des aubergistes distribuent du thé à la menthe ou de l’eau garantie provenant du Zemzem5 (ou Zamzam). Les mendiants, de plus en plus nombreux, signalent l’approche de La Mecque, comme en mer les oiseaux annoncent la proximité de la terre. Voici enfin la limite réelle de la Terre sainte signalée par un petit dôme entouré de cabanes en tôle. C’est là que les pèlerins venus par voie de terre s’entourent les reins de l’ih’ram6. Et enfin, voici La Mecque ! Blottie au creux de collines qui l’enserrent, on ne la voit qu’au tournant de la route, quand on est déjà aux abords d’une immense place, bruyante comme un champ de foire. La poussière noie toute image pendant que nous dévalons entre des maisons de bois fort hautes et toutes dentelées que soulignent des échoppes ouvertes sur la rue. L’air est lourd de parfum de santal et d’odeurs de graisse de moutons grillés s’élevant des cuisines installées dehors. Enfin apparaît une voûte couverte de mosaïques décorées de briques aux couleurs vives et derrière un grand espace illuminé, une foule dense. Derrière cette voûte défendue par trois marches garnies de sandales, il y a la Kaaba, la maison sainte gardienne de la Pierre noire et la foule fervente de l’islam en prière. La Mecque, la ville la plus ancienne du monde qui porta au cours des âges plusieurs noms (Makoraba sous les Ptolémées), « Oum el-Korat la mère des cités », est enfouie au creux des collines surmontées de deux forts démantelés construits par les Turcs. La mosquée se trouve au pied du Djebel Kobeïs et encastrée dans les maisons qui l’environnent et la dominent s’accrochant aux pentes du Jehad Allad par leurs terrasses superposées aux façades couleur de roches brûlées par le soleil et percées d’élégants moucharabiehs. Elle n’est un peu dégagée que du côté des buttes sacrées de Safa et Marwa, la voie sacrée qui la borde au sud et par laquelle nous sommes arrivés. 5 Puits situé dans l’enceinte du temple. Histoire : Agar, la servante d’Abraham, courut sept fois avec Ismaël à la recherche d’un point d’eau, et la source jaillit. 6 C’est aussi une pièce d’étoffe. À l’intérieur des maisons, des escaliers de pierre conduisent aux appartements, la plupart décorés en style arabe, murs blanchis à la chaux ou agrémentés de mosaïques multicolores, plafonds de cèdre sculpté ; les fenêtres ont un double cadre, l’un pour les vitres l’autre pour les volets à glissières et tout autour de la pièce, courent des divans bas recouverts de tapis. Dans la rue, de chaque côté des lits en rotin attendent les « faux morts » en linceul qui s’y étendent pour la nuit et les chegdefs vides sont rangés à côté par deux. « De quelque lieu que tu sortes, tourne ta face vers le temple Haram7 », dit le Coran. Ce lieu saint est fécond en merveilles : c’est là qu’Abraham s’arrêta. Il est devenu l’asile inviolable des peuples. Tous les hommes qui peuvent en faire le pèlerinage doivent y venir rendre hommage à l’Éternel. Ce lieu conserve en effet, la pierre où Abraham creusa l’empreinte de son pied et toutes les reliques, tous les trésors accumulés au cours des siècles par la foi. On y entre par une porte d’argent ciselé. Les arcades qui courent tout autour de l’Haram sur trois rangées de profondeur portent à leurs frontons le nom d’Allah, un disque vert, et sont surmontées d’un petit dôme en cône. À chaque angle, un minaret s’élance, mêlant sa flèche à celles des autres minarets élevés aux portes Züara, El Salam et du Prophète. Au centre, se dresse la Kaaba, la maison de Dieu. C’est un cube irrégulier d’une dizaine de mètres en pierre sombre, posé sur un piédestal de granit légèrement incliné, un voile8 noir, le tout el-Bêt ceint à mi-hauteur d’un bandeau de lettres d’or déclinant harmonieusement les versets du Coran. Jadis, les vierges du Caire le brodaient et une caravane l’emportait d’Égypte avec d’autres présents : c’était la Mahmal tissée de soie, l’offrande de la terre des pharaons toute resplendissante d’ors et de pierreries. Du toit en terrasses de la Kaaba émerge une gargouille d’or qui déverse l’eau sacrée recueillie dans le hâtim, réservoir en fer à cheval placé à sa base. Et enfin, la Kaaba est entourée d’un linge blanc sur lequel les pèlerins posent les mains et qu’ils soulèvent pour être plus en contact avec la pierre sainte enchâssée. 7 Territoire sacré. 8 Kiswab. La légende raconte que le premier temple fut apporté par les anges à La Mecque et deux mille ans avant la naissance d’Adam, ils y venaient adorer Dieu. Adam y vint lui-même venant de l’Inde, mais lors du déluge qui ravagea la terre, Dieu enleva la maison sainte au quatrième ciel et ce n’est que plus tard qu’il en fit le dessin pour Abraham et Ismaël. Tous deux bâtirent le temple Haram d’après ce plan, et ils y travaillaient encore lorsque l’ange Gabriel leur envoya la Pierre noire… qui était alors une hyacinthe blanche, mais une femme impure l’ayant touchée, elle devint noire comme les péchés du monde. En face de la pierre, s’élève un petit kiosque blanc qui recouvre le puits de Zemzem où se tenaient les imams (sectateurs) du rite malékite ; un autre kiosque tout semblable abrite les imams hanéfites (hanifites), et la légende dit encore que du puits de Zemzem sortira le monstre du jugement dernier. De savants commentaires nous le dépeignent avec une tête de taureau, des yeux noirs de porc, des oreilles d’éléphant, des cornes de cerf, un cou d’autruche, un poitrail de lion, un corps de chat muni d’ailes, une queue de bélier et des pieds de chameau… Pour le moment, autour du Zemzem, se pressent une foule fanatisée, car pour aller au paradis, il faut boire de son eau et s’en asperger. Une autre légende prétendait que l’eau montait en permanence. On vérifia : elle ne montait pas. Cependant, on en boit en continu, on verse des outres pleines sur les pèlerins, on l’emporte dans toutes sortes de récipients, et « le niveau ne baisse pas »… Dans la cour de la mosquée, de longues bandes de toiles sèchent au soleil : ce sont les linceuls des pèlerins qu’ils ont trempés dans l’eau du Zemzem et dans lesquels ils seront ensevelis. Sous le soleil, qui chauffe les dalles comme une fournaise, la foule animée dans un mouvement perpétuel tourne autour du Lieu saint, ne s’arrêtant que pour appuyer les mains sur le drap qui recouvre la Kaaba, pour en baiser les angles ou s’approcher d’elle. Et il y a des siècles qu’ils tournent ainsi. Le soir, un cercle de feu s’allume autour d’elle, les muezzins chantent l’heure de la prière du Maghreb9. 9Moghreb, le Couchant. Cinq fois par jour, ils apparaissent ainsi sur la plate-forme des minarets, lançant l’appel sacré : Allahu Akbar, « Dieu est le plus grand ! ». À chaque ondulation de cette foule de cinquante mille personnes soudain muette, monte comme un bruit de vagues expirant sur la grève. Vu d’en haut, cet immense anneau mouvant prend les couleurs d’un kaléidoscope où chaque race apporte la bigarrure de ses tenues se mouvant sous le soleil ardent qui lui aussi participe à la fête. Jusqu’au coucher du soleil, la chaleur est si intense qu’on ne peut guère sortir, mais le soir vient. Une odeur de cuisine et de santal flotte dans l’air. Sur les feux de bois, rare et précieux, grillent le labe cabi, le pois chiche ou la djerad, la sauterelle grillée que tout pèlerin doit manger en souvenir des anciennes famines pendant lesquelles elle constituait une manne providentielle. Cuisent encore la cherba, soupe piquante où flottent sous les épices les boulettes de viande et les beignets au miel. Des marchands ambulants vendent le rayeb ou lait caillé. Les pèlerins goûtent peu le mouton d’Arabie nourri de rares touffes de séné qui occasionne souvent des cas de dysenterie. De petits ânes au ventre rasé et teint de henné, aux pattes peintes de grosses taches rouges se glissent au milieu des caravanes poussiéreuses. Des pompons de toutes les couleurs et des grelots pendent à la selle placée très en arrière et ils trottent, rapides et nerveux, à peine stimulés par la baguette de leur maître juché sur leur croupe. Ils sont avec les chiens errant dans les rues la seule faune animale vivant dans le désert. Des enfants presque nus, petits bédouins noirs de peau brûlée par le soleil chantent à plusieurs voix une complainte légère et cristalline. Beaux comme de jeunes dieux, on dirait un chœur d’anges noirs. Et il y a aussi les mendiants couverts de lambeaux venus de tous les bleds environnants ou lointains. Ils sont sacrés, et le Coran impose l’aumône aux pèlerins. Ils vous harcèlent et tendent la main jusqu’à ce qu’ils aient reçu leur guerche10 en bronze. Après le pèlerinage, tout ce monde disparaît car ils n’ont pas l’autorisation de demeurer plus longtemps à La Mecque. 10 Petite monnaie locale. Vers la fontaine Zobeïda s’ouvre le quartier neuf où se dressent de hautes maisons de sept ou huit étages annonçant la cité nouvelle, car La Mecque s’agrandit vers le sud. Des maisons en ruine surgissent ça et là, des cafés où l’on boit, café, thé à la menthe ou eau du Zemzem. À l’heure de la prière, des agents de police chassent vers la mosquée les croyants attardés devant leur apéritif ou ceux qui flânent dans les rues. Dans les souks aux aromates et aux parfums débordant de blocs d’encens, de myrrhe, de sachets de henné, d’essences rares, on trouve aussi de petits tubes de kohol cousus dans du cuir rouge, des tissus de soie bariolés, des cuivres ciselés, des images naïves et même aussi de ces petites perles bleues qui éloignent le mauvais œil et que tous les chevaux turcs portent au collier. Parfois, dans les ruelles étroites et sombres couvertes comme celle du grand bazar d’Istanbul, un grand méhari manque de vous renverser, et assis devant leurs échoppes, les changeurs font tinter leurs douros saoudis. Ce bruit argentin avertit ceux qui ont besoin de monnaie arabe, réaux ou guerches, monnaie qui n’a cours dans aucun autre pays au monde et qui pourtant subit les fluctuations les plus arbitraires ! Le pèlerinage est pour l’Hedjaz une source unique de revenus et ce pays, qui ne produit que des gommes ou des parfums, fait venir d’Europe et du Japon tous les souvenirs de La Mecque. IV - Médine, le tombeau du Prophète Une grande palmeraie verdoyante, des champs de blé qui penchent leurs épis mûrs annoncent l’approche de Médine. La rivière traversée, auprès des ruines d’un palais de quelque pacha turc, une grande muraille moyenâgeuse surgit devant nous, percée d’une grande porte où veillent des soldats en armes. Les mutawwifs, sorte de cicerones, nous conduisent à la mosquée où se trouve le tombeau du Prophète un des plus riches du monde. Elle peut contenir cinquante mille pèlerins. Des milliers de colonnes en marbre posées sur des socles de cuivre soutiennent ses plafonds décorés de fines dorures, des centaines de lustres en or et cristal pendent au-dessus de tapis magnifiques que l’islam a accumulés ici. Non loin d’elle, la porte en or massif ouvre sur le tombeau de Mahomet creusé à l’endroit même où il est mort. Il est entouré d’un haut grillage doré où jadis s’accrochaient les pèlerins et aujourd’hui gardé par des soldats. On dit que le tombeau du Prophète est suspendu au-dessus du sol comme si des aimants de force égale le maintenaient dans cette miraculeuse position. Et c’est dans cette mosquée aux trois portes monumentales ciselées dans l’argent comme une dentelle de Venise que, pendant huit jours, les pèlerins doivent faire les cinq prières quotidiennes. Comme à La Mecque, la foule envahit le Lieu saint. Ici, la vie est plus douce, plus clémente, l’air plus respirable. Dans la grande palmeraie sourd une eau claire et glacée qui rafraîchit l’atmosphère, fait fleurir les roses et chanter les oiseaux. Dans les rues, les hautes maisons aux façades couvertes de moucharabiehs sont entourées de grands jardins plantés de palmiers et d’arbres fruitiers. Dans les souks, les magasins regorgent de richesses venant de tous les coins du monde que les pèlerins emportent tels des trésors. Autrefois, une ligne de chemin de fer unissait Médine à Damas ; elle est aujourd’hui inexploitée par suite de malentendus entre les riverains. Elle emportait alors vers le Nord à travers le désert, les richesses de l’Arabie sorties de ses mines d’or, de cuivre, de mica, de minerais et surtout son pétrole plus riche et plus pur que celui de Mossoul. Dès que le soleil est levé, nous partons pour le mont Arafat1 sur une piste perdue dans les sables des dunes et marquée çà et là de maigres buissons de zacon et de séné. Toute la journée, il nous faudra camper et prier sur cette colline désolée, premier contrefort de la haute chaîne qui barre l’horizon. Arafat est le mont de la Reconnaissance (ou Miséricorde), car c’est là, une fois chassés du paradis, qu’Adam et Ève se rencontrèrent et se reconnurent. On dit aussi que Gabriel y enseigna à Abraham les rites sacrés de la religion. Toute la ville nomade s’est déplacée avec tentes et abris, et pour contenir ces deux cent mille pèlerins traînant après eux autant d’animaux, il a fallu reculer les limites du Lieu saint de plusieurs kilomètres. Un mur encercle le mont au pied duquel deux grandes citernes, seul point d’eau potable de l’endroit, sont gardées par des soldats qui empêchent les pèlerins de s’y laver. Lorsque le soleil touche à son déclin, la foule, d’un seul élan, entonne les sourates qui louent le Seigneur et consacrent sa miséricorde, et à l’heure où il franchit enfin la limite nette de l’horizon, du camp qui n’est plus qu’une prière s’élève un grand cri hadj, hadj ! ou (hajj). La chute de l’astre a fait de tous ceux qui sont venus là pour la première fois, des hadji. Sur la route de Minen (Minâ actuellement), on côtoie l’aqueduc de Zobeïda qui, dit-on, apporte de Bagdad une eau pure et bienfaisante. Épouse de Haroun al Raschid (calife de la dynastie abbasside), Zobeïda le fit construire à ses frais. Il court comme un long serpent de pierre, disparaît parfois sous les rocs ou sous les sables, s’ouvre au milieu du désert en abreuvoirs où s’arrêtent les caravanes. Depuis treize siècles, il apporte la vie le long des vallées stériles et le nom de Zobeïda est béni. Une mosquée apparaît entre deux collines dressant vers le ciel son blanc minaret : c’est Muzdalifah. À Muzdalifah, c’est le sunnah, arrêt obligatoire près de la mosquée où doivent être ramassés les quarante-neuf cailloux indispensables qui serviront au rejm chitane (jamrat ou jamarât), la lapidation de Satan. 1 Lieu du dernier sermon du prophète, le temps fort du pèlerinage qu’est le wuquf, la « station ». La loi du pèlerinage veut qu’on passe à Minen les trois nuits qui précèdent la fête du mouton. Elle offre aux pèlerins des maisons épaisses et solides à terrasses et l’abri de leurs toits. Aussi loue-t-on ces maisons pour un an et il est prudent d’apporter des tapis si l’on ne veut pas dormir sur la terre nue. Arrivés à Minen à quatre km de La Mecque, tous vont vers le puits du père diable où chacun, dans une bousculade indicible, jette ses pierres avec rage sur l’invisible image de l’archange du mal et le puits s’emplit de cailloux de même grosseur pas plus petits qu’un pois chiche, pas plus gros qu’une noisette. V - L’Aïd el-Kébir Devant le décor des monts vers Minen, marchent des troupeaux, car demain c’est l’Aïd el-Kébir. Ce sacrifice1 du mouton rappelle celui d’Abraham sur la montagne même qui nous domine. Le rite veut qu’en ce jour, on retourne à La Mecque pour faire le Tawaf, les sept tours2 de la Kaaba et la « course » rituelle Sa’y (Sa’î), les sept parcours entre Safa et Marwa. Après avoir pris un bain et s’être fait raser la tête3, on revient à Minen pour la fête. Si l’on ouvre le Coran, on lit : « Déjà Isaac était couché le front contre terre ; une voix céleste cria : Abraham ! Ta vision est accomplie ; c’est ainsi que nous récompensons la vertu. Dieu a voulu t’éprouver. Une hostie racheta le sang de son fils ». Cette hostie, ce fut le bélier du paradis terrestre, celui qu’Abel avait offert à Dieu et Gabriel le donna à Abraham. Pour commémorer l’acte biblique, chacun doit sacrifier au moins un mouton. Tous ces moutons égorgés sont dépouillés sur place et le gouvernement se réserve les peaux, dont la plupart sont envoyées à Port-Soudan, de l’autre côté de la mer Rouge. Les pauvres ont droit aux chairs, à tout ce qu’ils peuvent emporter, ce qui reste est jeté dans de grandes fosses derrière la montagne et des nappes de chaux vive recouvrent les corps sacrifiés. Lors du pèlerinage, le village devient brusquement une ville immense de toiles comme un campement gigantesque de cirques nomades. Minen possède aussi trois puits ronds : un pour Diable le père et deux pour Diable le fils, où pendant trois jours, les pèlerins lapideront Jamrat, piliers4 symbolisant le Démon. Des roches ont roulé jusqu’au fond de la vallée comme si le ciel avait lui aussi lapidé la terre. De l’autre côté dans le djebel, campent les bédouins dans un amoncellement de pierres volcaniques. 1L’adha. 2La circumambulation. 3 Le halq, marquant la désacralisation. 4 Jamrat al Aqaba, jet de 7 cailloux, al jamrat al Wusta, 21 cailloux, al jamrat al Saghra, le reste. Sur des kilomètres s’étend l’immense camp divisé en enclos entourés de petits murs comme ceux des champs bretons ; les chameaux entravés sommeillent à côté des chegdefs vides. Les repas se préparent en plein air. Un ânier pousse sa bête chargée de bois qui se vendront par petits fagots, car le bois est rare. Un bloc noir passe, encadré de soldats qui écartent les gens à coup de crosses : c’est le harem de quelque haut dignitaire. Les Égyptiennes et les Turques vont le visage découvert, noyées dans leurs atours de couleurs vives brassés par le soleil. Les marchands de dattes en chapelet, de fruits, de gâteaux sucrés passent entre les pattes des chameaux, tandis que les vendeurs d’eau lancent l’appel : « Toi, dans cinq minutes, fais tes ablutions ». Des morceaux de viande sèchent sur un mur, boucanés en quelques heures par le soleil ; les reliefs qui gisent à terre sont secs sans être pourris. Tarabe Mouharer5, Pierre bénie de Dieu qui conserve intact les morts. C’est pourquoi beaucoup de pèlerins voudraient que ce sol gardât leur dépouille. La nuit tombe enfin, transparente et limpide comme elles le sont toutes au Hedjaz. À l’aube, couchés sur un tapis à même le sol, il vous semble au réveil entrer comme un murmure : c’est bien la terre, la terre qui chante en effet, s’enflant de l’immense oraison qui, au soleil levant, s’exhale de la vallée, la terre qu’Allah choisit entre toutes pour demeure, la Terre sainte du Prophète. 5 Orthographe incertaine. VI - La « Confrérie des Frères musulmans » Les « suivants » de l’Islam. « Que la gloire de nos étendards soit sans tache, disait Mahomet, car c’est elle qui convertira les plus incrédules. » — « Désormais, je vivrai et je mourrai parmi vous. Ma vie est votre vie, votre sang est mon sang ; votre ruine sera la mienne et ma victoire sera la vôtre » Voilà les paroles du Prophète Mahomet devant une poignée d’hommes, unis par une foi commune, et qui se constituera en « Ikwan1 » Au Xe siècle, dans une île du Sénégal, un pieux personnage prêche à quelques fidèles rassemblés autour de lui, que devant la corruption universelle, il n’y a d’autre chance de salut que le retour aux plus vieilles traditions de l’islam : c’est le début de l’épopée des Almoravides2 qui mènera des guerriers fanatiques jusqu’aux frontières des Pyrénées. Un siècle plus tard, un misérable pèlerin, boiteux et contrefait, rencontre par hasard sur sa route un jeune homme d’une grande beauté qu’il persuade qu’il est l’élu de Dieu pour ramener l’islam à sa pureté primitive, et c’est le début de la prodigieuse aventure des Almohades dont l’empire s’étendra de Tunis à Saragosse et des Pyrénées au Niger aux XIe et XIIe siècles. Quelques siècles encore, en Arabie, un marabout prêche lui aussi la nécessité d’un islam régénéré et c’est le début de ce mouvement Wahabite3 (Wahhabite) qui entraîne à cette heure, derrière Ibn Séoud, tous les bédouins de la péninsule Arabique. Aujourd’hui, toujours sous couleur de revenir aux plus anciennes pensées du Coran, un pauvre petit instituteur primaire d’Ismaïlia, Hassan El Banna, est en train de soulever dans un puissant élan religieux tous les fellahs d’Égypte4. Il y a vingt ans, le mourchid, c’est-à-dire le « guide dans la voie de la vérité » comme on l’appelle, avait en tout et pour tout six disciples, les six premiers « Frères d’Islam ». Aujourd’hui donc, ce digne héritier des Youssef ben Râchefin et du grand Abd el-Mounem en réunit des milliers et des milliers. 1 Frères de « l’Ikwan as-Safa » ou fraternité de guerriers, au sens de pureté. Noyau initial des légions islamiques de Mahomet. 2 Souverains berbères qui régnèrent sur l’ouest de l’Afrique du Nord et l’Espagne musulmane. 3 Qui s’en tient à la stricte application de la sharî’a, « loi établie par Dieu ». 4 Rappelons que ce texte inédit a été écrit dans les années 30, NDE. Pas un village du Nil qui n’ait sa confrérie de « Frères musulmans ». Si misérables qu’ils soient, les fellahs envoient au mourchid des cotisations grâce auxquelles les Frères organisent des maisons du peuple, des lieux de réunion avec radio et cinéma, des bibliothèques, des dispensaires… Le mouvement déborde l’Égypte et se développe en Syrie, en Palestine, au Liban, en Iran, en Libye et dans notre Afrique du Nord. Hanté par l’idée que si le monde en général et l’Égypte en particulier étaient si misérables, c’est que les Arabes avaient négligé les valeurs spirituelles pour le plus bas matérialisme. Le guide, dans la voie de la vérité, exhorte ses coreligionnaires à remonter aux idées du Prophète et à renoncer à suivre des politiciens pervertis par les idées occidentales. Ce mouvement, comme une puissante vague, ne s’oppose pas seulement aux idées venues de l’Europe, mais à tous les partis arabes s’inspirant des idées exécrées. VII - La question des coptes1 Après Jésus-Christ, le christianisme fut établi à Alexandrie et sur toute la terre égyptienne. Il y engendra des illustrations et des merveilles qui ne sont pas inférieures aux constructions et aux gloires pharaoniques. Dès le IIe siècle après J.-C., se manifestèrent Clément d’Alexandrie et Origène2 (l’un des esprits les plus puissants dont s’honore l’humanité), et plus tard, saint Denis, saint Athanase, saint Cyrille furent des figures qui ne s’effaceront pas dans la pensée du monde. (Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le texte a été écrit dans les années 30 du XXe siècle. NDE) Il est donc nécessaire de veiller à ce qui reste de chrétiens dans le Delta et tout le long du Nil. Les Chrétiens orthodoxes, c’est-à-dire dissidents, comptent près d’un million de fidèles, tandis que les Catholiques, à peu près inexistants il y a cent ans, voient leur nombre augmenter chaque année de plus de deux mille fidèles nouveaux sous la direction éclairée d’un patriarcat d’une étonnante perfection. (Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce texte a été écrit dans les années 30 du XXe siècle. NDE) L’Égypte renferme de grandes richesses à côté de lamentables misères. Dans la capitale fastueuse du Caire, des palais côtoient des quartiers où s’entassent des malheureux tels que sont les coptes. Ceux du Caire sont d’anciens fellahs venus en ville dans l’espoir de sortir de la misère et qui n’y ont trouvé qu’une détresse plus grande. Parqués dans d’étroites ruelles malpropres, des hommes sans vigueur corporelle ne connaissent aucun métier : ils sont marchands ambulants, balayeurs, badigeonneurs et aussitôt quelques piastres en poche s’en vont boire et fumer sans se soucier de leur famille. Et les enfants toujours nombreux, chétifs et maladifs, s’entassent dans des pièces sans air, souvent humides et nauséabondes. La jeune fille mariée tôt (12 ou 13 ans) aura toujours tant qu’elle sera jeune un bébé sur les bras et vivra dans l’oisiveté sans songer à faire quoi que ce soit dans la maison, se contentant d’un peu de pain avec des olives ou des tomates pour tout repas. Toujours drapées du long voile noir qui couvre la tête et les enveloppe tout entières, elles sont souvent en haillons. 1 Du grec Aiguptios, Égyptien, dérivé lui-même de Hikuptâh, Memphis. 2 Nom égyptien, « Né d’Horus ». Très fidèles à leur foi, qu’elles ne songent à quitter malgré les fortes sollicitations de l’islam, elles n’ont de recours qu’aux œuvres de Saint Vincent de Paul qui ont établi un centre dans le jardin de l’église grecque catholique. Les sœurs y réunissent les enfants et leur offrent un repas substantiel. Cette mission se trouve au vieux Caire, quartier très cher aux Chrétiens (l’Abbassieh), car c’est là que la tradition situe le séjour de la Sainte Famille exilée, qui comprend environ six mille coptes3 mais sans école chrétienne. 3 Pour les Arabes, les chrétiens d’Orient sont des Dhimmis, des « protégés » ; mais aussi des « soumis ». XI - Menaces sur l’Orient chrétien1 De Beyrouth, en automobile par Alep et Deir ez-Zor, on gagne la Haute Djézirèh. Pendant des siècles, sous la domination ottomane, toute cette région était une sorte de désert à peu près vide de tout habitant. Des bédouins nomades et quelques malheureux villages représentaient toute l’humanité d’une immense province. Cependant, ces terres avaient été les plus belles dans l’empire de Ninive et l’on sait que les Perses, et après eux les Romains et les Byzantins en avaient fait un paradis terrestre : frondaisons et eaux courantes. Mais après la grande guerre, la disparition de la souveraineté mahométane et son remplacement par une surveillance chrétienne, sonnèrent le réveil de l’Al-Djézirèh. Des Chrétiens arméniens, syriens, nestoriens et chaldéens accoururent aussitôt dans ce pays de trente mille kilomètres carrés et voici que se produisit la résurrection de la terre : une ville, Kamechliye, de vingt mille habitants, une autre Hassetché, de dix mille et près de cinq cents villages font sortir du sol en dix ans une abondante moisson de froment et d’orge ! La collaboration des missions latines est absolument nécessaire aux Églises catholiques orientales mariée aux intérêts catholiques sur une très vaste étendue dans cette Asie intérieure. Le théatre des opérations à l’extrême nord de la Mésopotamie commencera à l’ouest du cours de l’Euphrate, et au nord-est, il dépassera le cours du Tigre. Il appartient par conséquent au zèle de chaque chef de service catholique d’appeler à une fraternité totale les Chrétiens séparés par la dissidence. C’est ce que s’efforcent de faire les Dominicains installés à Deir-Bessié où ils dirigent une école de plus de cent-soixante enfants de races, de religions, de rites divers que se partage cette population bigarrée et restée attachée à nos missionnaires et à la France. Pendant les incidents de Beyrouth et les meurtres de Français à Alep, l’Al-Djézirèh ne broncha pas bien que Deir ez-Zor et surtout Damas furent un peu houleux. Ces populations chrétiennes n’ont de confiance qu’en notre pays et elles sont prêtes à quitter leur terre si la France l’abandonne. (1) En regard des problèmes d’aujourd’hui, cette vision d’un observateur des années 30 est très instructive. Lisez bien. (NDE) Bagdad n’est pas loin des ruines sous lesquelles dort Babylone l’immense capitale des Chaldéens. Remontant le Tigre toujours majestueux, nous nous arrêtons sur sa rive gauche, à mi-chemin entre Bagdad et Mossoul. Là, dans une vaste plaine bordée à l’est par l’ourlet des monts Zagros, une portion du Taurus oriental, nous trouverons Kirkuk, ville de plus de cent mille habitants et résidence de l’archevêché chaldéen. Les Chaldéens, tous catholiques, habitent ces régions ou ils comptent plus de cent mille fidèles. Cependant, il ne faudrait pas croire que les difficultés survenues dans l’Al-Djézirèh, à Damas et Alep atteignent les nombreux établissements qui ne sont pas sur la terre syrienne. Ces missions orientales s’étendent sur une très large géographie dans les Balkans, au Caucase, en Perse, en Égypte, en Éthiopie, sur le Tigre, l’Euphrate et en Palestine. Nous pouvons donc rassurer l’Église de France car la très belle entreprise de ces missions d’Orient ayant des siècles d’existence est debout, pleine de vigueur et d’espérance. Aucune de nos congrégations ne songe à quitter les rivages et les villes du Levant bien au contraire. La question orientale démontre un attrait grandissant ; ainsi, les métropoles d’Alep et de Damas ont-elles fait à deux reprises des manifestations en faveur du retour des religieux français. Alep compte, sur ses trois cent mille habitants, un tiers de chrétiens catholiques (Grecs melchites, Arméniens, Chaldéens, Syriens et une colonie maronite). Cette population est très attachée aux établissements français qui, depuis longtemps, ont travaillé avec succès à la transformation intellectuelle et morale des Alepins. Damas, comme centre arabo-musulman, a une importance au moins égale à celle d’Alep. Dans cette capitale spirituelle de la Syrie, la prière, depuis ses minarets, s’étend très loin vers le désert et ses communautés chrétiennes sont beaucoup moins importantes que celles d’Alep. Néanmoins, on ne peut oublier les Grecs melchites, les maronites, les Arméniens qui vivent et prospèrent dans cette métropole. Si la Syrie est à majorité musulmane, il s’y mêle une variété considérable de religions, de sectes et de races différentes, car elle n’est pas vraiment une terre arabe, puisque les mahométans ne l’envahirent qu’aux VIIe et VIIIe siècles de notre ère. Cette terre est chrétienne depuis les apôtres, le christianisme y a laissé des traces ineffaçables et les trois cent mille fidèles du Christ qui y résident encore considèrent la Syrie comme le berceau de leurs ancêtres. À cet Orient qui nous a donné le Christ Jésus, sa divine mère, les douze apôtres, nous devons rendre ce que nous en avons reçu. Depuis les rivages de la Méditerranée jusqu’au-delà de la Mésopotamie, depuis le Liban jusqu’au Taurus oriental, il est un pays qui, plus que tous les autres du monde, possède des citoyens d’une diversité étonnante de races, de religions, de mœurs. Sans cesse pour cette raison, une police attentive et sévère a été indispensable afin de tenir « en repos » ces populations. La France s’en allant, qui la remplacera ? Qui maintiendra la paix et la tranquillité dans ces régions pleines d’attrait mais si souvent en effervescence ? Nous sommes contraints d’avouer que c’est une décision britannique qui a chassé la France de la Haute Djézirèh, d’Alep et de Damas. Et voici pourquoi nos Capucins, nos Dominicains, nos frères maronites de Damas et beaucoup d’autres encore ont dû quitter ces pays. Plaines et montagnes sont inhabitables dans le voisinage des Kurdes à l’audace fameuse, quand aucune force ne peut dominer les dérèglements de ces tribus essentiellement pillardes. Or ces religieux et missionnaires qui ont quitté la Syrie se sont réfugiés et mis au travail au Liban où, malgré le départ des administrations et des effectifs militaires, ils espèrent conserver la paix dont ils ont besoin. Malheureusement, reste dans le pays une poignée de chrétiens à la merci des chefs musulmans qui, avec les Anglais, conduisent tout et nous mènent à l’abîme. Dans ces conditions, on se demande ce que sera le sort du christianisme dans nos pays. Lorsque la Grande-Bretagne voudra bien que la France conserve sa priorité et la surveillance de ses avoirs en Djézirèh, en Syrie et à Beyrouth, le problème sera résolu avec aisance et facilité, car les populations ne sont pour rien dans les événements survenus, et les gouvernements de Damas et du Liban désirent un traité d’amitié avec le gouvernement français. Dans son livre « L’Orient chrétien. Des apôtres jusqu’à Photius »2, Monseigneur Lagier, nous montre l’importance, encore trop peu appréciée, d’un ancien Orient chrétien d’où jaillit beaucoup de lumière sur l’histoire politique de ce temps. Les principaux personnages y sont présentés en de magnifiques portraits pleins de vie, notamment Paul, Polycarpe, Origène, Nicolas de Myre, Athanase, Siméon le Stylite3, l’impératrice Pulchérie, les empereurs Justinien et Héraclius… 2 Patriarche de Constantinople du IXe siècle. 3 Ascète ayant vécu 35 ans…, perché sur une colonne. Malgré beaucoup d’ombres, le vieil Orient fut vraiment grand, grâce à ses docteurs et ses saints, sa vie chrétienne et sa charité. Des rapprochements très intéressants y sont établis entre le passé et le présent que représentent nos missionnaires français. Constantinople : saint Jean Chrysostome, les jésuites et les lazaristes. Alexandrie : Origène, saint Athanase. Thessalonique : Saint-Paul s’oppose aux lazaristes. Actuellement, nos frères dans les écoles chrétiennes… Ainsi, ce passé, qui fut l’un des plus beaux empires de l’Histoire, compta un ensemble de chrétientés puissantes, nombreuses et ferventes. Du temps des apôtres jusqu’au milieu du IXe siècle de notre ère, on voit le génie de Pierre, Paul et André, comme des autres disciples de Jésus qui répandirent avec rapidité la doctrine du christianisme. C’est ensuite l’éblouissante litanie des martyrs et des saints qui précéda celle des grands patriarches. L’arianisme4, le nestorianisme5 puis le monophysisme6 d’Eutychidès de Sicyone engendrèrent de très rudes batailles du IVe au VIe siècle. À partir de Constantin le Grand et de sa capitale bâtie à l’entrée du Bosphore, on peut joindre l’histoire des empereurs byzantins à celle du christianisme oriental parfois exalté par les « Basiliens7 » fastueux et parfois aussi contrarié jusqu’à la persécution. Très belle fut la foi active de Constantin, de Théodose le Grand, des impératrices Pulchérie et Irène, de Marcien, de Justinien en opposition à l’attitude néfaste de Constantin II, Léon III l’Isaurien et de Constantin V Copronyme. Trois siècles plus tard, ce furent Photius (Photios), Basile Ier Michel III Cerularius, les très grands princes, de la dynastie dite Macédonienne, qui illustrèrent les événements chrétiens de cette époque. Beaucoup de savants ont la passion des études byzantines et leur ambition est de prouver l’étonnante magnificence d’un passé qui les séduit en nous faisant toucher du doigt la beauté et la valeur inouïe de cet Empire, dont ses églises glorieuses sont le plus précieux ornement. 4 Pour Arius, prêtre d’Alexandrie, les personnes divines de la Trinité ne peuvent être, ni égales ni confondues. 5 Pour Nestorius, moine à Antioche, le Christ est homme véritable et fils de Dieu. Marie est mère du Christ et non de Dieu. 6 Refus de concevoir les deux natures du Christ. 7 Suivant Basile le Grand, Basileios, en lutte contre l’arianisme. Aussi, évoquent-ils le prestigieux passé de Constantinople, Nicée, Nicomédie, Smyrne, Éphèse, Antioche, Césarée, Jérusalem, Alexandrie et son cortège de pontifes comme de ses sanctuaires pleins de fidèles, puisque ce fut à cette époque que l’histoire de la chrétienté connut sa plus grande gloire quand les Basiliens macédoniens eurent mis cet empire au pinacle en luttant contre ses ennemis. Plus tard, nous retrouverons avec les Comnènes, au XIe siècle, l’Orient chrétien redressé, et sur les rives de l’Asie en route vers les Lieux saints, nous suivrons les croisés d’Occident, les yeux tournés vers ce pays de lumière. En étudiant ce qu’ont été dans leur longue histoire l’Empire de Byzance et l’Orient chrétien unis depuis les apôtres jusqu’à la chute du colosse au XVe siècle sous les coups de Mahomet II, nous avons sous les yeux l’une des plus grandes organisations impériales de l’humanité, riche, puissante et animée de la vertu chrétienne qui faisait mourir ses Basileus comme des saints. À Byzance, à diverses reprises au cours de onze siècles de luttes souvent héroïques, nous sommes en présence de génies qui forcent notre attention et c’est avec orgueil que le catholicisme enregistre parmi les plus grandes gloires, les fameux Pères du Ve siècle : Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Jean Chrysostome, Grégoire de Nysse. Cet empire, dont la belle capitale remplie de palais, d’églises aux grandes proportions, de tombeaux célèbres, par son emprise et sa supériorité sur toutes les autres puissances humaines de son temps, non seulement avait défendu ses frontières contre trente invasions fort dangereuses, mais dans le même temps, avait rassemblé chez lui plus de la moitié des richesses du monde. Ce qui fit dire à Jean Froissart8 : « Les trois quarts de la fortune de l’univers sont à Constantinople, le quatrième quart est épars dans les autres parties de la planète ». Que n’eut-il écrit s’il avait jugé l’époque des empereurs Théodose, Nicéphore Phocas, Basile 1er, Basile II Bulgaroctone ! « Le tueur de Bulgares ». Après avoir visité Constantinople et passé le Bosphore, nous arrivons en Terre sainte. À l’est de la vallée du Jourdain, avant les limites du désert, se trouve un pays qui fut très chrétien grâce au travail des apôtres. 7 Chroniqueur du XIVe siècle. Il gardait, ce pays, un écho des paroles que le devin rédempteur fit entendre dans ces régions de la Transjordanie. Avant les prédications de Jésus, le précurseur Jean-Baptiste avait enduré son martyr et versé son sang sur cette terre. Il n’est pas possible que cette semence soit perdue. Et c’est peut-être la raison pour laquelle actuellement les réfugiés ne sont nulle part aussi nombreux que dans cette contrée où ils reçoivent cet accueil bienfaisant et cet enseignement si utiles pour les malheureux, qu’ils soient du rite latin ou oriental byzantin. La ville d’Amman si petite jusqu’à ces temps derniers compte déjà cent vingt mille habitants et est le siège d’un évêché florissant9. 9 Tout a bien changé soixante-dix ans après ! (NDE)