DANIEL COHN-BENDIT

Partisan du fédéralisme européen
   

Daniel Cohn-Bendit est né en France de parents juifs allemands réfugiés en France en 1933 pour fuir le nazisme. Il est apatride jusqu’à l’âge de 14 ans, où il opte pour la nationalité allemande pour, dit-il, ne pas être soumis au service militaire en France. Il se définit toutefois comme "citoyen européen".


Brièvement membre de la Fédération anarchiste, puis du mouvement Noir et rouge, il se définira plus tard comme "libéral-libertaire". En 1967, il est étudiant en sociologie à l'Université de Nanterre lorsque commence le mouvement de contestation qui deviendra le Mouvement du 22 Mars en 1968. Il est inscrit sur la liste noire des étudiants de l'Université. A la suite de l'évacuation des locaux par la police le 2 mai, il fait partie des étudiants qui vont occuper la Sorbonne le 3 mai. Il sera avec Alain Geismar et Jacques Sauvageot l'une des figures de proue du "mouvement de mai".


Le 21 mai, alors qu'il est en voyage à Berlin, il est interdit de séjour en France. Il y revient le 28 mai, cheveux teints et lunettes noires, pour un meeting à la Sorbonne où il est acclamé. Le slogan "Nous sommes tous des juifs allemands" résumera ce soutien des jeunes à celui que la presse nomme "Dany le rouge". L'arrêté d'interdiction de séjour ne sera levé qu'en 1978.


Dès la fin des "événements", il s'installe à Francfort-sur-le-Main, où il s'intègre à la mouvance contestataire. Il est successivement aide-éducateur dans une crèche autogérée, employé à la librairie Karl-Marx, mais petit à petit ressent le besoin de trouver un débouché politique à cette contestation de la société. Il se rapproche du mouvement des Verts allemands (Die Grünen) et se lie avec Joschka Fischer, qu'il pousse à se présenter aux élections dans le land de Hesse. Il sera lui-même plus tard candidat sous l'étiquette des Verts à la mairie de Francfort, puis au Parlement européen.


En 1981, il soutient la candidature de Coluche à la présidence de la République.


En 1986, il officialise son abandon de la perspective révolutionnaire dans un ouvrage-bilan, "Nous l’avons tant aimée, la Révolution".


Depuis 1994, Daniel Cohn-Bendit est député au Parlement européen. Il a été d'abord élu comme tête de liste des Verts en France (sa liste obtient 9,72 % des voix en juin 1999, second meilleur résultat des Verts français aux élections européennes après celui d’Antoine Waechter en 1989), puis comme représentant des Verts allemands le 13 juin 2004. Il est porte-parole du parti européen des verts créé en février 2004, puis co-président (avec Monica Frassoni) du groupe Vert au Parlement européen. Ses options économiques libérales l’éloignent un peu de la majorité des écologistes européens qui considèrent que le dogme libéral est incompatible avec les moyens que nécessitent la préservation de la planète et le combat pour la justice sociale, et donc avec le paradigme écologiste.


Anti-nationaliste et partisan d’un fédéralisme européen, Daniel Cohn-Bendit s’engage dans le processus constitutionnel européen initié par le discours de son ami Joschka Fischer sur "la finalité de l’intégration européenne". Après le bilan plutôt satisfaisant des travaux de la Convention sur l'avenir de l'Europe, il adresse une lettre aux gouvernements se réunissant dans une conférence inter-gouvernementale dans laquelle il les adjure :


• de peser de tout leur poids pour éviter que le texte final du traité établissant une Constitution pour l'Europe ne contienne des reculs par rapport au texte de la convention ;


• d’introduire dans la troisième partie de la Constitution une procédure de révision moins lourde, qui ne repose pas sur l’unanimité et qui prévoit l’entière participation du Parlement européen ainsi que la ratification par celui-ci ;


• de révolutionner le mode de ratification utilisé jusqu’ici en organisant un référendum européen pour que tous les citoyens européens puissent s’exprimer sur cette constitution européenne et afin que les enjeux européens prennent le pas sur les considérations de politiques intérieures, ceci sans que le refus d’un seul pays puisse bloquer tous les autres.


Ces propositions trouveront peu d’échos à l’époque et ne seront pas retenues par les gouvernements, mais se retrouveront au cœur des polémiques lors de la campagne précédent le référendum français sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Pendant cette campagne, l’action de Daniel Cohn-Bendit en faveur du OUI agace le courant du "NON de gauche", qui estime qu’on ne peut être à la fois de gauche et favorable à ce traité, ainsi que certains de ses camarades écologistes qui lui reprochent de participer à des meetings avec des membres du parti socialiste français ou de l’UDF, bien que la direction du parti des Verts (suivant le vote positif d'une majorité de militants), ait appelé à voter oui au Traité de Constitution pour l'Europe. Il est également critiqué pour sa position "ni gauche ni droite" et sa participation à la majorité municipale CDU (droite allemande) à Francfort. À la secrétaire du PCF qui lui reproche de s’engager si fortement dans une campagne française, Daniel Cohn-Bendit répond : "Oui, Marie-George, je sais : je suis un juif allemand". Il a soutenu Dominique Voynet lors de l'élection présidentielle de 2007. Daniel Cohn-Bendit est vice-président du Mouvement Européen-France depuis février 2007.


En 2001, une polémique a lieu a propos de son livre "Le Grand Bazar" (Belfond, 1975), où il racontait ses activités d’aide-éducateur au jardin d’enfants autogéré de Francfort. Il déclare à ce propos : "Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : "Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas d'autres gosses ?" Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même". Et ailleurs : "J’avais besoin d’être inconditionnellement accepté par eux. Je voulais que les gosses aient envie de moi, et je faisais tout pour qu’ils dépendent de moi".


Ces passages ont été interprétés par certains, 25 ans plus tard, comme un acte de pédophilie. Cohn-Bendit se défend, expliquant que le texte était une provocation, n’avait pas fait scandale à l’époque et qu’aucune plainte d’enfant ou de parent n’avait été déposée. "Prétendre que j’étais pédophile est une insanité. La pédophilie est un crime. L’abus sexuel est quelque chose contre lequel il faut se battre. Il n’y a eu de ma part aucun acte de pédophilie." Des parents de ces "crèches alternatives" ont d’ailleurs apporté leur soutien au leader écologiste : "Nous savons qu’il n’a jamais porté atteinte à nos enfants", écrivent-ils. Les enfants eux-mêmes rejettent dans cette lettre "toute tentative de rapprochement entre Daniel Cohn-Bendit et des personnes coupables d’abus sexuels sur enfants".


Européennes 2009


En 2008, Daniel Cohn-Bendit participe à l'initiative Europe Écologie de création de listes écologistes rassemblant militants des Verts et personnalités associatives ou indépendantes proches des idées écologistes, rassemblement que les Verts mettent en scène à leurs Journées d'été de Toulouse en août de la même année. Le 20 octobre 2008 avec Jean-Paul Besset, Eva Joly, Cécile Duflot (Secrétaire nationale des Verts), José Bové, Yannick Jadot, Monica Frassoni (coprésidente du groupe Vert au parlement de l'Union européenne) et Antoine Waechter (Président du MEI) il est l'une des personnalités qui ouvrent la campagne électorale des écologistes pour 2009 en lançant un appel au "Rassemblement de l'écologie".

Daniel Cohn-Bendit et Yann-Ber Tillenon

 Changer d’ère

L’histoire est en suspens car la déraison s'est emparée du monde. Comme en témoignent brutalement les dérèglements des mécanismes financiers, la croissance de la famine, l’aggravation des inégalités ou l'emballement du bouleversement climatique, l'humanité s’est mise en situation de perdre la maîtrise de son destin. Nous sommes parvenus à ce moment-clé où tout peut basculer, jusqu’à l’irréversible, ou, au contraire, favoriser un sursaut pour construire une nouvelle donne dont l’Europe devienne le creuset. Soit la trajectoire d’effondrement dans laquelle s’inscrit la mondialisation du tout marché et de la prédation aveugle se prolonge, et l’on verra la conjonction des crises - écologique, énergétique, alimentaire, financière, économique, sociale, identitaire - précipiter la planète dans une régression sans précédent ; soit les sociétés humaines se ressaisissent, refusant la spirale de l’excès, des fractures sociales et du découplage avec la nature, et alors surgiront les forces porteuses des réformes nécessaires pour échapper au chaos et tracer l’horizon d’une nouvelle espérance. Il est urgent de se rassembler pour y concourir. Ni demain, ni peut-être. Maintenant et résolument !


Ne rien faire ouvrirait la porte à des politiques autoritaires pour gérer les pénuries ou les conséquences des migrations d'origine climatique. Agir, c'est éviter la barbarie pour choisir la civilisation. Nous n’avons plus le temps. Tous les indicateurs sont au rouge. Notre modèle de développement est pulvérisé par les faits ! Aveuglé par l’idéologie de la croissance sans limites, dopé par le laisser-faire du libéralisme, le système productiviste fonce tout droit vers la catastrophe, tel un bateau ivre. Partout l’insécurité sociale grandit. Le progrès perd son sens au profit d’une montée de l’insignifiance et d‘une destruction du vivant. L’humanité avance vers son désert.


D’autres orientations économiques et sociales s’imposent. D’autres choix de société sont indispensables. Une autre politique est possible : celle de la responsabilité. Le devoir d’équité universelle, l’attachement au vivant sous toutes ses formes, la nécessité de réduire l’empreinte écologique sur les ressources et les équilibres naturels commandent de changer d’ère. Il faut entrer sans plus tarder dans un nouveau monde, celui d’une profonde mutation écologique et sociale de civilisation. Celle-ci s’appuiera sur les valeurs de sobriété, de mesure et de modération, de partage, de solidarité et de démocratie, a contrario des aliénations marchandes et des violences économiques qui contaminent les écosystèmes, destructurent les sociétés, écrasent les diversités culturelles et broient les individus dans la compétition du toujours plus et les frustrations permanentes.


Comment construire une alternative au désenchantement du monde ? Comment rendre désirable un changement basé sur l’épanouissement personnel et le mieux être collectif ? Nous proposons un choix : celui d'une régulation des activités tournées cette fois vers l’humain et la réconciliation avec la nature.


D’abord, il faut rompre ! Rompre avec cette logique autodestructrice. Rompre avec les impostures de l’accompagnement social et écologique d’un système condamné ; rompre avec les illusions qui tentent seulement d’en corriger les débordements et qui s’épuisent à réguler l’irréversible ; rompre avec le fatalisme qui conduit à s’accommoder d’une situation douloureuse pour la majorité des hommes et des femmes de la planète et pour l’avenir de nos enfants. Nous ne sortirons pas de l’impasse par des faux semblant, en ânonnant des adaptations à la logique dominante ou à coups de timides ajustements sectoriels. Rompre, c’est s’en prendre enfin aux racines, au sein du système économique et social comme au coeur de nos pratiques individuelles ; c’est modifier l’architecture de la mondialisation aussi bien que transformer l’imaginaire de chacun. Agir sur les structures de nos sociétés et travailler en même temps à une insurrection des consciences, voilà les deux défis à relever pour éviter une désagrégation tout azimut et, au final, la défaite de l’homme.


L’urgence commande donc de réunir les conditions collectives pour que la trajectoire humaine s’engage sur une autre voie. Autre projet de société, autre modèle de civilisation… le chemin passe par la refondation progressive et pacifique de nos manières d’être et de vivre, ensemble et individuellement. Ni surenchère utopique, ni ivresse révolutionnariste, l’objectif que nous devons poursuivre consiste à ouvrir les pistes d’un horizon émancipateur, redonnant sens au progrès et consistance à l’espoir. Nous n’affichons ni lendemains qui chantent ni programmes miracles. Nous affirmons seulement un autre choix : celui d’une nouvelle régulation, fondée sur l’impératif écologique et social, dont la déclinaison devra être établie démocratiquement dans chaque domaine impliquant la communauté humaine. Notre démarche consiste à opposer pied à pied des alternatives aux logiques destructrices et spéculatives, à trier entre ce qui est possible et ce qui ne l’est plus, à rassembler les énergies pour que la société s’engage dans une transition vers un monde qui, à défaut d’être parfait, restera viable pour tous et se montrera plus juste au plus grand nombre.


L’enjeu est tel et son urgence si prégnante que nous ne pouvons plus consentir à la tradition des jeux de rôle auxquels la représentation politique se complaît, avec ses rabâchages traditionnels qui pétrifient le futur et ses crispations claniques qui dévalorisent les consciences. Quelques soient leurs référentiels idéologiques, les partis politiques dominants bégaient devant les défis du nouveau siècle, refusant l’obstacle du grand tournant nécessaire. Ils restent liés à un type de développement insoutenable, fondé sur le mythe d’une progression exponentielle des richesses et, au final, sur le diktat absurde de la croissance pour la croissance. Chacun à leur façon, ils persévèrent dans la reproduction de mécanismes de plus en plus aliénants.


Par conséquent, le verrou que les forces politiques dominantes imposent à la société doit être débloqué. La plupart des politiques ne sont pas en phase avec le temps de la rareté qui s’annonce. Ils sont les produits d’une époque révolue au cours de laquelle, de la Révolution industrielle aux Trente Glorieuses, la croyance folle en l’abondance inépuisable s’installa. Elle consacra la domination de l’avoir sur l’être et de l‘économique sur le politique. La matrice commune des partis politiques, forgée au culte de la croissance infinie et à tout prix, imprégnée de dévotion scientiste et de bigoterie technologique, les rend sourds aux interpellations de la modernité. C’est pourquoi ils ont obstinément nié les alertes lancées depuis trente ans par les écologistes.Vivre avec son siècle consiste aujourd’hui à prendre conscience que l’âge du gaspillage et de l’inconséquence est terminé, que l’autorégulation du marché est un mirage, que la réalité est désormais surdéterminée par la crise écologique et l’approfondissement des inégalités sociales. Parce qu’ils entendent continuer de conduire l’avenir avec leurs promesses obsolètes et leurs réflexes sclérosés, ce sont ces partis hors d’âge qu’il faut maintenant contester, électoralement et démocratiquement.


Nous ne nous résoudrons jamais au futur que le fondamentalisme marchand et l’aveuglement des inconditionnels de la démesure dessine : un apartheid mondial dans la répartition des ressources et la destruction de la nature.


C’est pourquoi il s’agit de développer un nouvel espace politique au sein duquel ceux et celles qui se rassemblent dans leur diversité traceront la perspective d’un nouveau projet de société. Celui-ci n’est pas hors d’atteinte. Il repose sur l’aspiration grandissante des populations à vivre autrement que dans l’accumulation, le factice ou les dettes et sur la montée de l’exigence citoyenne pour une répartition équitable des richesses et un juste échange entre les peuples.


Ce modèle alternatif n’est inscrit dans aucun dogme ni bréviaire, même s’il est attaché aux meilleures traditions humanistes, en particulier l’opposition radicale au racisme, à l’antisémitisme, au sexisme et à toute forme d‘ostracisme et de domination. Il se construira pas à pas, à partir des besoins de bientôt sept milliards d’individus, de l’intérêt collectif des peuples de la terre, de la protection des biens communs et de l’extension des services publics, du partage des ressources et du respect des équilibres du vivant. Il se fondera sur les valeurs de justice sociale et de solidarité planétaire, de sobriété et de conscience des limites, de droits humains et de dialogue démocratique. Il orientera progressivement les activités vers une réduction de l’empreinte écologique, impliquant de nouvelles façons de consommer, de produire, de se déplacer, de travailler, d’échanger, d’innover, d’habiter les villes et les territoires et de faire ensemble société. Il encadrera rigoureusement les mécanismes du marché et leurs prolongements financiers. Il stimulera la recherche scientifique et la créativité industrielle selon une perspective compatible avec les besoins réels et les limites de la biosphère


A nouveau projet de société, nouvelle régulation économique et sociale. Il s’agit de penser l’organisation de la société selon le principe de durabilité, intégrant à la fois l’impératif écologique et celui de la justice sociale : durabilité des ressources et des équilibres naturels, durabilité, dans leur diversité culturelle, des systèmes économiques de demain, des contrats sociaux et des modes de vie. Autrement dit, il s'agit d'engager des réformes incompatibles avec l’hégémonie productiviste et consumériste qui précipite les dégâts écologiques et sociaux à coups de dérégulation, de financiarisation, de marchandisation et d’uniformisation.


Nous en connaissons les principaux instruments qui feront l'objet de la plateforme électorale des listes Europe Ecologie : décroissance des flux de matière et d’énergie sans recours au nucléaire ou aux agrocarburants, nouvelle donne économique basée sur la proximité des échanges, les énergies renouvelables et la fonctionnalité qui privilégie l'usage des biens à leur achat, nouveaux indicateurs de richesse, encadrement du marché selon des critères écologiques et sociaux, contrôle des mécanismes financiers, renforcement de l'économie sociale et solidaire et des services publics (services d’intérêts généraux selon la terminologie européenne) dans les secteurs clés de la vie collective (énergie, transports, santé, logement, éducation, télécommunications, solidarité sociale), mise en place d’une fiscalité intégrant le juste prix écologique et réorientant les comportements et les investissements, sanctuarisation des biens communs de l'humanité (l’eau, l’air, les fleuves, les océans, les ressources halieutiques, les forêts, les zones humides et les sols), protection de toutes les espèces du vivant, encouragement au travail paysan et aux agricultures respectueuses des terroirs, de l’environnement et de la santé, refus de la brevetabilité du vivant et des risques de contamination par les OGM ou les pesticides, modification d’un aménagement du territoire axé sur l'étalement urbain et la sectorisation, réorientation de la mobilité des hommes et des marchandises vers les moyens de transports doux, le rail et les voies d’eau, mobilisation de la recherche scientifique pour favoriser les applications technologiques à la mutation écologique, coopération et co-élaboration avec les pays du Sud, droit à la souveraineté alimentaire, développement des relations internationales sur la base de l’apaisement des conflits, défense des droits fondamentaux de la personne (droit d'asile, droit de vote aux résidants issus de l'immigration...) et des libertés individuelles, extension de la démocratie par les voies participatives, renforcement des pouvoirs de la justice vis-à-vis des paradis fiscaux et des pratiques mafieuses, respect des territoires et des identités culturelles dans le cadre d'une Europe fédérale, réduction du temps de travail parallèlement aux gains de productivité...


Un nouvel espace politique porteur d’une nouvelle politique de régulation ne peut se concevoir d’emblée qu’à l’échelon européen puisque l’Europe est notre famille, et sans frontières puisque le monde est notre village.


L’Europe doit d’abord agir sur elle-même. Elle a puisé dans ses ressources naturelles et mis à sac celles de ses anciennes colonies pour construire sa puissance. Aujourd’hui encore, elle prélève plus de ressources qu’elle n’en dispose. Son empreinte écologique, comme celle de l’ensemble des pays industrialisés, excède la capacité biologique de la planète. En moyenne, chaque habitant de l’Union européenne utilise au moins deux fois plus de surface productive que la biocapacité réelle disponible. La réduction de cet impact destructeur constitue une priorité incontournable. De la même façon, l’Europe doit payer sa dette. Son développement économique, comme celui des autres pays industrialisés, s’est effectué au prix d’un renforcement de l’effet de serre global et d’un prélèvement massif de ressources mondiales. Elle est ainsi devenue un débiteur écologique majeur vis-à-vis du reste du monde. Cette dette engage l’Union européenne dans son rapport aux pays du Sud. Ceux-ci doivent pouvoir compter sur elle. L’Union européenne, malgré les aléas de sa construction et des pratiques trop souvent technocratiques, a bâti un espace de paix et de coopération entre les vingt-sept Etats et les quatre-vingt-trois peuples qui la composent. Elle a su s’interposer comme une force de conciliation dans les conflits. C’est un formidable acquis, une histoire positive, à rebours des visions archaïques ou souverainistes qui imprègnent encore ce continent qui était celui des guerres. Des cultures différentes démontrent qu’elles peuvent vivre ensemble et s’enrichir mutuellement dans un monde déchiré par la violence multipolaire et les replis nationalistes et communautaristes.


C’est aussi grâce à l’Europe que des questions vitales ont pu échapper au carcan des intérêts et des égoïsmes nationaux et trouver des débuts de réponse allant dans le sens de l‘intérêt général. L’Europe a su par exemple se placer à l’avant-garde dans la lutte contre le réchauffement climatique et les objectifs du paquet énergie-climat sont les nôtres, l’Europe a su mettre en oeuvre une protection efficace des espaces naturels sur son territoire, l’Europe a eu le courage d’imposer le début d'une réglementation contraignante à l’industrie chimique…


Plus que jamais, nous avons besoin d’Europe : parce que c’est au niveau européen que se prend aujourd’hui la majeure partie des décisions politiques, touchant à tous les aspects de la vie des citoyens, parce qu’elle constitue notre meilleur socle pour répondre aux enjeux de l’époque et lancer des politiques transnationales ambitieuses, parce qu’elle pourrait être le meilleur défenseur des droits sociaux et de l’environnement et opposer un modèle de société alternatif à celui de la mondialisation libérale, parce que nous sommes convaincus que les Etats-nations n’offrent qu’une réponse de plus en plus partielle et inadaptée aux risques globaux auxquels nos sociétés sont confrontées.


Mais l'Union européenne n'apparaît plus comme une entité capable de réguler les équilibres mondiaux selon des critères de justice sociale et d’environnement. Ses dérives libérales tendent à l’assimiler à un simple épiphénomène d’une globalisation chaotique, voire même à un accélérateur de celle-ci. D’autant plus que les peuples boudent l’Europe parce qu’ils ne se reconnaissent pas dans ses institutions sans visage. Comment s’en étonner, dès lors qu’on leur parle surtout de compétitivité et de concurrence, comme si le marché pouvait à lui seul tenir lieu d’horizon ? L’Europe est plus présente dans leur vie pratique que dans leurs cœurs. Ils attendent légitimement un projet qui les fédère et leur ouvre l‘horizon. Le moment est venu pour que les Européens s’emparent et s’identifient à la perspective politique d’une Europe solidaire et durable. En installant la mutation écologique et sociale comme colonne vertébrale de la communauté de destin des peuples européens, l’Europe deviendrait le moteur d’un nouveau foyer de civilisation.


Soyons lucides mais n’ayons pas peur. La crise globale qui menace la civilisation humaine peut être surmontée. Sauf à consentir honteusement au désastre, l’humanité se trouve dans l’obligation de réagir et de changer de cap. Elle en a les moyens. Il lui manque l’objectif. L’intensité de la crise offre paradoxalement une opportunité historique de jeter les bases d’un nouveau monde en puisant dans les meilleures valeurs du patrimoine humain, de mobiliser les intelligences et les énergies pour encourager leur créativité, de rénover la démocratie et de réhabiliter la politique. Avec l’Europe écologique et sociale, nous avons l’occasion de reprendre en main notre destin pour vivre mieux. A nous tous de la saisir !

Daniel Cohn-Bendit