L'écrivain, journaliste, essayiste Guillaume FAYE a publié un livre: "La Colonisation de l'Europe". De quelle colonisation parle-t-il? Pouvons nous vraiment parler de "colonisation de l'Europe"?... La vocation nationale bretonne et anticolonialiste de Kêrvreizh, depuis 1938, nous oblige à nous pencher sur cette histoire du colonialisme français. Il a sévi en "Breizh" jusqu'à faire de notre nation une région, une province française, une "Bretagne", un pays totalement francisé, comme son nom l'indique...

Yann-Ber TILLENON


 
Guillaume Faye et Yann-Ber Tillenon à Kêrvreizh

Le 9 avril 1955, François Mauriac, qui n’avait rien d’un extrémiste, malgré ses engagements assumés contre les brutalités coloniales, écrit dans son fameux Bloc-notes : « Le désastre indochinois n’est pas digéré, voilà le premier fait. Il existe un cadavre quelque part, dont toute la vie politique française se trouve empuantie et que les assassins cherchent à faire disparaître sans y être encore parvenus. » [3].

Remplaçons indochinois par colonial, franchissons un demi-siècle, et nous aurons une image de l’état du débat français en ce début de XXI è siècle.

Le cadavre du colonialisme empuantit toujours l’atmosphère.

Une entreprise de réhabilitation de ce système est à l’œuvre. Le clan des réactionnaires, nostalgériques, anciens baroudeurs des guerres de décolonisation a (re)commencé un travail patient et multiforme. Nous nommerons ses sectateurs les glorificateurs coloniaux. Et, faute de vocabulaire existant, nous nous permettrons de proposer les néologismes plus forts encore de réhabilitateurs, de aspects-positifateurs.


Pour que les choses soient claires d’emblée, précisons que nous n’incluons nullement dans nos dénonciations les historiens avec lesquels nous avons eu, avons et aurons des débats, souvent vifs, des désaccords, parfois des polémiques. Ces collègues sont des chercheurs affirmés, qui arrivent à des conclusions que nous contestons, mais qui appliquent les règles habituellement reconnues dans notre profession. Ils méritent des réponses argumentées, non des invectives, non des appels à la censure… et encore moins des recours aux tribunaux.

Ceci étant souligné une fois pour toutes, revenons à nos réhabilitateurs.


Ils ont (re)commencé un travail, avons-nous écrit. Et nous avons pris soin de placer le “re” entre parenthèses. Car, en fait, ce travail de sape n’a jamais cessé. Le fait nouveau est qu’il a porté ses fruits, qu’il a, pourquoi le nier, profité de notre torpeur, de notre désarroi parfois devant les errances d’un tiers-monde que nous avions magnifié – ce pluriel s’appliquant à notre courant d’idées, toutes générations confondues –. Persuadés d’aller dans le sens de l’Histoire, nous nous étions endormis sur nos lauriers. Le réveil a été brutal.

Nos adversaires ont réussi le tour de force de faire passer un appareil idéologique des années 30-40-50 du siècle passé comme une nouveauté, de s’imposer comme des interlocuteurs, porteurs d’une certaine vérité, une parmi d’autres, peut-être, mais une vérité. La loi du 23 février 2005 a été la manifestation la plus éclatante de cette offensive. Mais cette loi n’a pas été un épiphénomène, un épisode clos après la décision présidentielle de renoncer au trop fameux article 4. Qui pourrait sérieusement contester que le faisceau de faits que l’actualité charrie depuis quelques années – du discours sarkozyste (racaille et moutons égorgés dans les baignoires) aux risettes aux anciens OAS (dont bien des électeurs lepénistes), en passant par le retour frêchien à la classification hommes / sous-hommes – est une coïncidence ? Nous sommes d’autant plus amenés à nous interroger que ce courant est désormais international (Italie, Belgique, Royaume-Uni…).


Nous nous considérons en état de légitime défense. Qui pourrait dénier à ceux qui tiennent pour acquis une certaine critique radicale du colonialisme le droit de riposter ?

Ce droit… est un devoir. Nous le devons, d’abord, aux peuples injustement agressés dans leur mémoire, comme ils le furent naguère dans leur chair. Nous le devons à nos aînés, les intellectuels anticolonialistes, les Paul Mus, les Pierre-Henri Simon, Charles-André Julien, Jean Dresch, Madeleine Rebérioux, André Mandouze, Pierre Vidal-Naquet, Jean-Pierre Vernant [4]. Et nous le devons à l’établissement des faits. Rien que cela.


Ce que nous avons nommé Faisceau de faits ne provient certes pas du travail d’un chef d’orchestre clandestin (vision policière de l’Histoire), mais est significatif d’une réelle convergence idéologique : esprit de revanche d’anciens militaires coloniaux refusant le sort des armes et invoquant la trahison de l’arrière, de nostalgiques de l’Algérie française encouragés et cautionnés par le clientélisme électoral ; position de défense de certains cercles du pouvoir cherchant à éviter ou à atténuer les effets d’un grand déballage mettant en évidence la continuité des politiques françaises à l’endroit des ex-colonies (Françafrique et scandale d’une éventuelle complicité de génocide au Rwanda des plus hautes autorités militaires et politiques) ; plus généralement, en Occident, tendance à l’auto-justification pour permettre la poursuite de politiques d’ingérence à façade humanitaire (la mission civilisatrice sous d’autres formes), nouvelle forme de développement du capitalisme mondialisé, du pillage de la périphérie pauvrissime par le centre développé…


Face à cette offensive, il nous paraît nécessaire de rappeler quelques acquis de la recherche historique en matière coloniale. Simplement, calmement. Et sans repentance. Car cette notion nous est radicalement et définitivement étrangère.

Remarquons pour commencer que le mot a été mis à la mode... par ses adversaires. Le procédé est rôdé : amalgamer des noms de bateleurs et de pamphlétaires et ceux de citoyens critiques, historiens ou pas, viser de préférence des cibles faciles puis se présenter comme raisonnables, nuancés. Ce mode de fonctionnement est assez fidèlement résumé par le Dossier de Marianne consacré au phénomène : « C’est une opération commando, une vaste entreprise de démoralisation, qui voit se répandre comme une traînée de poudre la mauvaise conscience et la mauvaise foi. ».


Une « vague de repentance », un « malaise dans l’identité historique », une « victimisation à outrance » s’abattent sur la France, écrit Philippe Petit dans l’article introductif [5]. Suit un article vantant, avec force citations, la « rationalité » de l’ouvrage médiatisé de Daniel Lefeuvre, Pour en finir avec le repentance coloniale [6], une interview de Pascal Bruckner, « Arrêtons de confondre l’ethnique et le politique », le tout contrebalancé, il est vrai, par un entretien avec Benjamin Stora.


Anti-repentance ! Que d’encre tu as fait couler ! Que de pages tu as noircies ! Les intellectuels les plus divers, du nostalgérique au souverainiste, de l’ex-communiste devenu républicaniste à l’ex-maoïste devenu bushiste, y sont allés de leur attaque (qu’ils nomment comme il se doit : défense). Le très réactionnaire Alain Griotteray avait ouvert le feu en 2001 avec Je ne demande pas pardon. La France n’est pas coupable [7] ; en 2006, ce fut un tir groupé : Paul-François Paoli, Nous ne sommes pas coupables.


Assez de repentances ! [8] ; Max Gallo, Fier d’être Français [9] ; Daniel Lefeuvre, déjà cité ; Pascal Bruckner, La tyrannie de la pénitence. Essai sur le masochisme occidental [10] …presque tous, soit dit en passant, publiés chez de « grands » éditeurs, et donc destinés à un large public, presque tous invités réguliers des médias, presque tous exposés honorablement sur les étals des libraires. Pour des auteurs qui mettent en avant leur courage intellectuel contre les modes, voire les « commandos » (dixit Marianne), sortes de Don Quichotte pourfendant le politiquement correct, il y a pire épreuve…

Mais, franchement, pour aboutir à quoi ? A force de ramener l’argumentaire de leurs adversaires à une caricature, nos auteurs enfoncent des portes ouvertes. Certains frisent le ridicule : « Il faut bien que quelqu’un monte sur le ring et dise : “je suis fier d’être Français” écrit Max Gallo. Qu’il réponde coup pour coup, du poing et du pied, à ceux qui, du haut de toutes les estrades, condamnent la France pour ce qu’elle fut, ce qu’elle est, ce qu’elle sera ». Ils veulent « que la France s’agenouille, baisse la tête, avoue, fasse repentance, reconnaisse ses crimes et, tondue en robe de bure, se laisse couvrir d’insultes, de crachats, heureuse qu’on ne la viole qu’en chanson et qu’on ne la brûle que symboliquement chaque nuit. » Et de demander que l’on réponde à ces accusations par… « la boxe à la française » [11].


Non, la lutte des idées n’est pas un ring de boxe. Vous avez perdu votre temps, messieurs… et vous avez fait perdre celui de vos lecteurs.


Soyons francs : nous avons un problème de communication avec ce mot. L’immense majorité des femmes et hommes qui ont combattu la loi de février 2005 le récusent [12]. Nous avons entendu cent fois Christiane Taubira lui régler son compte. Nous-mêmes le dénonçons catégoriquement depuis des années – et ici encore. Mais comment se faire entendre ? Comment ne pas se faire taxer de schématisme, à chaque fois, avec cet argument éculé : « Vous demandez la repentance ». Puisque les récusations polies n’ont, semble-t-il, pas été convaincantes, nous faisons ici appel à Cavanna.

Qui n’a pas la réputation d’être particulièrement bien élevé : « La repentance, forme suprême de l’hypocrisie. Mot immonde, mot hideux, mot de cureton honteux. Mot d’assassin impuni (et impunissable !) qui veut, en plus de l’impunité, le pardon de ses victimes pour la tranquillité de son âme. Repentance mon cul ! Démerdez-vous avec vos remords et vos autres petits inconforts, confessez-vous à votre curé habituel si c’est votre tasse de thé, mais ne venez pas nous faire chier, nous qui ne pouvons être que des victimes. Repentance... pouah ! » [13]


Nous ne demandons donc pas « que la France s’agenouille » (Max Gallo). D’abord, parce que nous pensons qu’il y a eu, face au phénomène colonial, des France. Dont une n’a pas adhéré aux valeurs dominantes. Des contemporains des événements ont appelé un chat un chat, et un crime un crime, des intellectuels, des politiques ont résisté à l’air du temps...

Mais oui, nous demandons, oui, nous exigeons que l’Etat français reconnaisse les préjudices que le système a mis en place entre les premières déportations négrières et la décolonisation – plus de trois siècles – . Nous prenons au mot le Président de la République lorsqu’il affirme, à l’intention des autorités d’Ankara, que « tout pays qui reconnaît ses erreurs se grandit ». Nous avons la conviction qu’une telle mise au point par un discours officiel (et non une loi ou une quelconque réparation financière, bien sûr...) serait propice à pacifier le débat sur la question, à désarmer un argumentaire démagogique et communautariste que, certes, nous ne sous-estimons pas, à ôter un prétexte au chantage de certains gouvernements d’ex-colonies.


Point de naïveté pourtant : il ne suffira pas de dénoncer les injustices d’hier pour en finir avec celles d’aujourd’hui. Mais une telle clarification aurait au moins le mérite de limiter les risques d’un violent retour du refoulé et d’amorcer un débat – enfin sérieux – sur ce que devrait, sur ce que devra être une France républicaine respectueuse de ses principes fondateurs.


Il faut le dire et le répéter, et pour notre part nous n’y renoncerons pas : oui, la France coloniale fut coupable d’appropriation illégale de territoires étrangers… de pillages… de spoliations… de massacres… de discriminations racistes à base de discours pseudo scientifique… Toutes choses qui suffiraient à faire de la colonisation un crime contre l’humanité... Certes, tout n’a pas été abus, un équipement ferroviaire et routier a été mis en place, des infrastructures éducatives et sanitaires ont été construites. Mais ce fut dans un souci, d’ailleurs légitime pour tout système, de meilleure rentabilité économique, la fameuse « mise en valeur de l’Empire » exaltée en 1923 par Albert Sarraut dans son ouvrage le plus célèbre [14].


Il n’y a pas de débat possible sur les aspects positifs de la colonisation. Il n’y a jamais eu de colonisation respectueuse des individus dominés. La conquête coloniale, bien qu’ayant toujours voulu se parer des atours de la légalité internationale, n’en avait pas moins pour seule règle la loi du plus fort. Elle s’est toujours faite dans la violence. Elle s’est parfois faite au prix de crimes. Et, dans les cas extrêmes, on, peut parler de génocides : qu’on songe aux Caraïbes, aux Hereros et aux Aborigènes (même si nous récusons dans cet ouvrage l’usage de ce concept, génocide, pour qualifier l’ensemble du phénomène colonial).


Enfin, si nous nous prononçons pour une reconnaissance de la responsabilité de la France dans cette phase de son histoire, c’est aussi parce que nous y voyons un moyen bien plus efficace que le silence pour libérer la Nation d’une souffrance qui naît précisément de la pérennisation de l’implication collective dans le déni. Cet acte de responsabilité collective est ainsi un préalable à la construction de nouvelles formes de relations à l’altérité.

En ce sens, ce débat, qui parle beaucoup du passé, est une (petite) fenêtre ouverte sur l’avenir.


La France du début du XXI è siècle a la fièvre… post-coloniale. Aussi étonnant que cela puisse paraître – et que cela paraîtra aux historiens de l’avenir – le débat sur « l’œuvre de la France outre-mer » a été réactivé et a de nouveau enflammé les passions. Une loi de février 2005 – heureusement amputée de son aspect le plus choquant par la suite – a prétendu imposer aux historiens, mais aussi au public, une lecture unilatérale de l’histoire coloniale française. Epiphénomène ? Non point, affirment les auteurs de ce livre, historiens, philosophes, politologues, journalistes, responsables associatifs…


Il y a bel et bien un retour de l’esprit colonial, illustré par mille et un autres petits et grands faits de la vie politique contemporaine, de la réhabilitation de certains tueurs OAS au discours de Dakar (juillet 2007), de l’insulte contre les harkis (« sous-hommes ») à l’exaltation d’une identité nationale que certains rêvent blanche et chrétienne.

S’ils dénoncent ce retour, les auteurs ne prêchent pourtant en aucun cas la repentance, ce concept né hors de la sphère de la recherche historique. Ils se contentent de rappeler à la décence les laudateurs du système. Ils exigent que les officiels de ce pays abandonnent leur morgue et regardent l’Histoire coloniale en face. Dans la France pluriethnique et pluriculturelle d’aujourd’hui, c’est un enjeu, on en conviendra, qui dépasse largement les débats académiques.