HISTOIRE DE LA MACEDOINE

Elena Vrenska et Yann-Ber Tillenon.
Les fouilles archéologiques depuis la fin du siècle dernier s'étaient essentiellement concentrées dans la Grèce du sud avec les résultats que l'on sait, alors que la Makédonia (Macédoine) restait occupée jusqu'en 1912 par la Turquie, qui d'ailleurs ne se souciait peu d'en développer l'archéologie. Or, depuis une trentaine d'années, et la découverte par Manolis Andronikos, à partie de 1977, des tombes royales de Vergina (Grèce), un changement d'optique s'est amorcé en faveur de la Makédonia (Macédoine) . D'une manière assez curieuse, les évenements politiques ont aidés ce mouvement, en portant au sommet de l'état grec, une personnalité venue de la Makédonia (Macédoine), qui a très vite compris l'intérêt de grandes fouilles pour "rééquilibrer" la géographie de l'archéologie dans son pays. Tout le monde sait désormais ce que les spécialistes de linguistique, d'éthnologie, d'histoire expliquaient depuis longtemps : la Makédonia (Macédoine) antique était, fondamentalement, une terre grecque, peuplée d'individus parlant un certain grec et vivant depuis les périodes très anciennes en contact avec les centres de civilisations de la Grèce du sud, même si d'autres influences et des conditions particulières y protégeaient des formes de vie que le reste de la Grèce abandonnait progressivement. Le plus évident tient à cette constatation : en 360 av.JC, quand Philippe II se proclame roi de Macédoine (Makédonia), son pays est considéré comme barbare par les Athéniens et bien d'autres, et il vient de traverser un demi siècle de convulsions et de défaites. Or trente trois ans plus tard, à la mort d'Alexandre, la Macédoine (Makédonia) a conquis le plus grand empire que l'occident ait jamais connu.On a pu parler d'un "miracle grec" : n'y aurait-il pas ici une sorte de miracle macédonien ? C'est en tout cas une étonnante suite d'évenements dont nous chercherons l'explication dans certaines conditions, en scrutant aussi les personnalités exceptionnelles de deux hommes, Philippe et Alexandre. L'extrême intérêt des questions soulevés par l'histoire macédonienne et par les paradoxes au moins apparents qu'elle révèle, explique un certain renversement d'une perspective : apprendre à regarder l'histoire grecque également du point de vue de la Makédonia (Macédoine). Autre paradoxe, l'histoire de la Macédoine après Alexandre est une succession de batailles où les défaites l'emportent largement sur les victoires : chaque fois que le royaume tend à recouvrer une réelle puissance, des alliances se nouent pour le détruire, et cette histoire se termine, assez vite, par la mort, sous le coup des romains,du royaume de Macédoine, la première des monarchie héllénistique à s'écrouler. Pourtant, ces siècles d'instabilité et de malheurs voient en même temps une extraordinaire floraison, à l'intérieur de la Macédoine même : des royaumes macédoniens portent le rayonnement de la Grèce jusqu'aux extrémités du monde connu. Et quand disparait le royaume de Macédoine,son esprit se perpétue dans l'empire romain, qui sait en recueillir l'héritage. Ici il faut encore chercher l'explication de ce paradoxe dans l'étonnante vitalité de la création macédonienne : elle avait su fondre les diverses traditions de la Grèce avec d'autres richesses empruntées aux pays conquis,pour en faire un bien d'une valeur universelle. Après la ruine du monde antique au cours du VIIe siècle après JC, le nom de la Macédoine, du moins dans son acception géographique, disparait de l'usage courant. Seuls les ouvrages érudits et les légendes populaires en garde le souvenir, associés aux exploits d'Alexandre le Grand et de son père, Philippe. C'est seulement neuf siècles plus tard qu'une première vague d'amateurs de l'Antiquité commence à établir un lien entre les récits glorieux de l'histoire de la Macédoine et les vestiges rencontrés sur place.
LES TERRES Il est des peuples qui doivent leur identité à un pays, et des pays qui doivent leur identité à un peuple. Si les français sont nés de la France, la Macédoine, en revanche n'est rien d'autre que le pays des Macédoniens. Au cours de l'histoire, les limites du pays ont suivi l'expansion du peuple macédonien, depuis les chaines du Pinde, à l'Ouest, jusqu'à la plaine de Philippes, à l'Est, et du Mont Olympe, au Sud, jusqu'aux défilés de l'Axios entre les Monts Barnous (Kaïmaktsalan) et Orbélos (Bélès), au Nord. Cette Macédoine "historique" se trouve à près de 90% à l'intérieur des frontières actuelles de la Grèc e, dont elle constitue la province la plus septentrionale. Elle est fermée, au Sud, par le Mont Olympe et les Monts Cambouniens à l'Ouest, par la chaine montagneuse du Pinde, au Nord par par les Monts Barnous et Orbélos ; à l'Est, jusqu'au règne de Philippe V, la Macédoine proprement dite ne s'étendait pas au-delà de la vallée du Strymon. Il est possible, mais pas certain, qu'aux toutes dernières années de l'indépendance macédonienne, la frontière soit allée jusqu'aux Monts Lékani pour inclure la plaine de la ville de Philippes.Ainsi, le processus historique de l'émergence de cette entité géographique que nous appelons Macédoine explique le manque d'unité du pays.
Carte de la Macédoine physique. La ligne rouge indique la limite du royaume avant la conquête romaine.
Notez bien que le royaume est situé à l'intérieur des frontières actuelles de la Grèce et non à l'extérieur et, donc, aucun autre pays n'a le droit de propriété sur le nom de MACEDOINE (qui est donc aujourd'hui le nom d'une région grecque, et non pas le nom de son voisin de l'autre coté de la frontière qui a le mérite de s'accaparer le nom et l'histoire de cette région grecque)... Le berceau de la puissance macédonienne comprenait la grande plaine alluviale formée par les fleuves Haliacmon, Loudias et Axios, et celle plus petite, de la Piérie (Katérini), avec les piedmonts des montagnes qui les entourent : l'Olympe, les Piériens, le Bermion, et le Barnous. Le centre de la grande plaine, appelée dans l'Antiquité Bottie (Bottié) ou Emathie, était occupé jusqu'au début du siècle par des marécages et un lac, la Loudiakè, que reliait à la mer par le fleuve Loudias. A l'Ouest de ces deux plaines s'étendait la haute Macédoine, une série de massifs montagneux formant autant de royaumes indépendants ; l'Elimée sur le cours moyen de l'Haliacmon, l'Orestide sur son cours supérieurs et autour du lac Kastoria, la Lyncos dans la plaine actuelle de Florina. A l'exception de l'Eordée, du bassin des lacs Bergorritis et Petrôn, ces régions ne furent annexées au royaume des Téménides (Téménidis), qu'au cours du IVe siècle av. JC. Plus à l'Ouest, la Tymphée-Paravée et l'Atintanie, à cheval sur la chaine du Pinde, constituaient la limite mais aussi le passage entre la Macédoine et l'Epire. Les nouveaux territoires à l'Est de l'Axios, dont la conquête fut commençée par Alexandre Ier et achevée par Philippe II, présentent une plus grande diversité ; au centre, la Mygdonie, le couloir des lacs Koronéia et Bolbè ; au Nord, la plaine continentale de la Crestonie ; au Sud, les contrées méditerranéennes de l'Anthémonte, la Bottikè, la Chalcidique qui plonge ses trois doigts profondement dans la mer Egée ; et à l'Est du mont Dysoron et le long du fleuve Strymon, la Sintikè, la Bisaltie, l'Odomantique et l'Edonide. Deux grandes voies de communications, qui devaient devenir voies romaines, assuraient une certaine unité de ce vaste pays. La première reliait, par la vallée de la Morava et celle de l'Axios, le bassin danubien au golf Thermaïque et, au-delà, à la Grèce du Sud ; la seconde, la célèbre via Egnatia des romains, permettait de traverser la péninsule balkanique dans la direction Ouest-Est, depuis les ports de la cote Ilyrienne, Appolonia et Dyrrhaccion, jusqu'à Sestos ou Byzance, aux portes de l'Asie. Ces deux axes étaient des voies royales, équipées et mesurées en stades par l'administration macédonienne. Pour un grec du Sud, la Macédoine est un pays exotique. le voyageur qui traverse la vallée du Tempè pour entrer en Piérie découvre une terre dont l'échelle sinon la nature est autre. Il est accueilli par les neiges éternelles du Mont Olympe, la montagne la plus élevée de Grèce (2917m). Des routes droites bordées de hauts peupliers, le conduisent à travers de vastes prairies arrosées par les fleuves pérennes; sur leurs rives paissent les troupeaux non seulement de chèvres, mais aussi de vaches et il n'y a pas si longtemps, de buffles ; sauf en bordure de la côte, il ne voit pas d'oliviers ; remontant vers les hauts plateaux, il rencontre des forêts de chênes, de hêtres et même de bouleaux. Si le lion et le taureau, jadis trophées par excellence des chasses royales, ne hantent plus les collines et les vallons, le cerf, le lynx, le loup et l'ours résistent encore aux assauts des chasseurs. Les vastes étendues des lacs Pespa ou Bégorritis sont survolées de cygnes, de cigognes et de pélicans, alors que dans leurs pronfondeurs pullulent les poissons d'eau douce. Ce tableau de la Macédoine, que le "progrès" est en train d'altérer en partie, ne doit pas être si différent de celui qui s'offrait aux yeux du voyageurs de l'Antiquité... LES HOMMES Selon la légende, les trois frères fondateurs du royaume macédonien étaient des éleveurs : le premier faisait paître des chevaux, le deuxième des vaches, et le plus jeune le menu bétail, moutons et chèvres. C'est sous la conduite de celle-ci, selon d'autres légendes,que le plus jeune, qui devint roi de Macédoine, a occupé l'emplacement de la future capitale du royaume, Aigéai (Grèce). Ces mythes de fondation, et les parallèles tirés de l'observation des populations pastorales des balkans modernes, laissent penser que les premiers Macédoniens formaient un groupe de bergers transhumants hellénophones, proches parents des Magnètes Thessaliens. Après avoir pendant des siècles circulé entre alpages du Mont Olympe et des Monts Piériens, et les pâturages d'hiver des plaines de Piérie et d'Emathie, ils se seraient emparés, vers 700 av. JC., du sîte stratégique d'Aigéai et s'y seraient installés. Les textes littéraires, les inscriptions et les monnaies confirment que la transhumance de chèvres et de moutons, avec l'élevage de vaches et de chevaux dans les plaines arrosées par les grands fleuves, restèrent jusqu'à la fin de l'Antiquité, et au-delà, une des activités principales des Macédoniens. Le pastoralisme transhumant requiert discipline et courage pour controler les transferts du bétail et faire face aux dangers ; les rencontres avec les fauves et avec des humains hostiles ne devaient pas être rares lors des déplacements à travers les solitudes des montagnes. Aussi constitue-t-il une excellente école pour un peuple de chasseurs et de guerriers : d'après nos sources, un jeune Macédonien n'était intégré dans la société des adultes qu'après avoir tué un sanglier à la chasse et un ennemi au combat. Cependant sur les riches terres alluviales de la Piérie et de la Bottie, ceux des Macédoniens qui se livraient aux activités plus sédentaires, cultivaient les céréales, les légumes de toutes sortes et les arbres fruitiers. Si le climat, sauf en Chalcidique, n'était pas propice à l'olivier, dans les piedmonts de la grande plaine Emathienne, on produisait déjà dans l'Antiquité certains des meilleurs vins de la péninsule balkanique. L'essor de l'agriculture macédonienne est inséparable de la maitrise de l'environnement naturel. Les grands travaux d'assèchement des marais par la régularisation des cours d'eau et ceux de défrichement entrepris par Philippe II, qui ont tant impressionné Théophraste, ne se sont sans doute pas limités à la plaine de Philippes dont il parle. Même si la malaria semble être restée endémique sur les bords du lac Loudiakè, la santé vigoureuse des armées macédoniennes indique que l'extension du fléau n'était point comparable à celle que découvrirent les services de l'armée française d'Orient au debut du siècle dernier. La terre macédonienne n'était pas seulement source de richesses agricoles. Elle recélait aussi des trésors minéraux ; du cuivre, du fer et, dans sa partie orientale, de l'or et de l'argent en quantités exceptionnelles pour le monde grec. Dès le début du Vème siècle av.JC, sous Alexandre Ier, on extrayait l'équivalent d'un talent d'argent par jour des mines de Bisaltie, alors que celles du territoire de Philippes rapportaient à Philippe II, au milieu du siècle suivant, la somme fabuleuse de plus de 1000 talents par an. L'exploitation des mines, qui appartenaient exclusivement au domaines royal, constituait, avec celle des forêts, également domaniales, les deux assises de la puissance financière de la monarchie. L'importance non seulement économique, mais aussi politique et diplomatique, des forêts nous est révélée par les auteurs anciens ainsi que par une série d'inscriptions ; pour asseoir leur hégémonie, les citées grecques devaient impérativement assurer leur approvisionnement en matières premières. Si Athènes était dépendante des matériaux nécessaires à la construction navale, même temps les souverains macédoniens avaient à coeur de conserver à leur pays le contrôle exclusif à cette richesse naturelle tant convoitée. L'exploitation des mines et des forêts s'accompagnaient du développement des activités de transformation et de commercialisation des matières premières. Aussi, dès son entrée dans l'histoire, la Macédoine apparait-elle non seulement comme une société rurale, mais aussi comme une société en partie urbanisée. Déjà sous le règne d'Alexandre Ier, les auteurs anciens mentionnent plusieurs agglomérations urbaines qu'ils qualifient de poleis. L'expansion macédonnienne vers l'Est et l'annexion d'un nombre toujours croissant de fondations coloniales des grecs du Sud vont accélérer ce mouvement. Mais il a contribué au développement du pays, il a, du même coup, fait peser de graves menaces sur la cohésion du peuple et de l'Etat. Les Macédoniens n'étaient pas les premiers habitants du pays auquel ils ont donné leur nom. Les auteurs de l'Antiquité mentionnent les Pières en Piérie, les Bryges, ancêtres des Phrygiens, les mystérieux Bottiéens, originaire de Crête, et les inévitables Pélasges en Emathie, les Almolopes en Almolopie, les Eordes en Eordie, les Mygdoniens, les Edoniens, les Bisaltes et les Crestoniens dans la partie orientale du royaume. Notre ignorance des langues parlées par ces groupes humains, à l'exception partielle des Bryges-Phrygiens, les réduits à de simples noms, et seule la collection et l'étude du matériel onomastique révélé par les inscriptions commencent à en permettre la localisation approximative et l'identification. L'origine des Macédoniens eux-même fait l'objet depuis plus d'un siècle l'objet d'un vif débat où, parfois, les considérations scientifiques sont inextricablement mêlées en arrière-pensées politique. Aussi devait on s'en tenir aux témoignages des auteurs anciens, qui tantôt distinguaient les Macédoniens des Grecs et tantôt insistaient sur la communauté des origines et de la langue des Macédoniens et des autres Grecs. Aujourd'hui, la découverte, la collecte et la publication d'un très grand nombre d'inscriptions, souvent de haute époques, permettent l'étude des noms propres et des termes techniques conservant les traits phonétiques et morphologiques du parler ancestral. Pour la première fois, il est donc possible d'avoir une idée assez précise du parler macédonien : il s'agit d'un dialecte grec intermédiaire entre le thessalien et les dialectes du Nord-Ouest, dont la phonologie a subi une influence limitée des langues des peuples conquis, tendant à estomper la netteté de la distinction entre consonnes sourdes et sonores. S'il est vrai que Philippe II réussit à achever la fusion en un seul peuple des différentes populations du royaume, l'onomatique montre que, jusqu'à la conquête de la Macédoine par les romains, ce sont les descendants des conquérants grecs qui formèrent l'élite guerrière et, par conséquent, les couches dirigeantes de la société. Quoique les historiens modernes parlent volontiers de "barons" macédoniens, le féodalisme est aussi étranger que le tribalisme à l'organisation sociale de la Macédoine antique. Il serait même impropre de parler d'une noblesse héréditaire. Ce que l'on observe, c'est une aristocratie de mérite, naturellement encline, à l'instar de toute couche dirigeante, à se reproduire, et qui peut recevoir de la part du roi non des fiefs, mais des terres en toute propriété, comme récompense de services rendus.